Une histoire russe de mysticisme religieux et de création mathématique …

A l’extrême fin du XIXème siècle, les mathématiques traversent une  très grave crise  relative à leurs fondations.

Un nom résume cette période, Georg Cantor.

Cantor apportera des solutions géniales à ces problèmes de fondation créant ainsi la théorie moderne des ensembles.

La balle fut reprise au bond par un trio de mathématiciens appartiennent  à la  – soyons chauvins trente secondes- prestigieuse  école mathématique française.

Leurs noms ?  Emile Borel, Henri Lebesgue, René Baire qui posèrent à la suite de Cantor, les bases de l’analyse et des probabilités modernes.

Les mathématiques sont, depuis longtemps, internationales, et leurs travaux furent, à leur tour,  repris par l’autre grande école mathématique mondiale : l’école mathématique russe.

Des mathématiciens russes, donc, en liaison étroite avec les mathématiciens français précédents..

Il est donc temps  d’évoquer un autre trio, russe, cette fois :

Deux mathématiciens formés au prestigieux département  « Mekh-math », (« Mécanique et mathématiques ») de la non moins prestigieuse  université Lomonossov de Moscou : Dimitri Egorov et Nicolas Luzin.

https://resistancerepublicaine.com/2024/11/26/le-19-novembre-1711-naissait-mikhail-lomonossov-grand-nom-de-la-science-en-russie/

Et un prêtre : Pavel Florensky

Vous me direz : oui, il y a des mathématiciens dans ton histoire mais où sont les mystiques?

J’y arrive …

En 1907, au mont Athos, haut lieu de l’Orthodoxie, repris à l’horrible domination ottomane depuis peu,  un moine, Ilarion, fonde les « Adorateurs du  Nom » : il s’ agit d’invoquer, continuellement, par une brève invocation, le nom de Dieu.

Ils prient une prière spécifique, « La prière de Jésus ».

Nos deux mathématiciens russes  Egorov et Luzin vont adhérer aux « Adorateurs du  Nom ».

Ce qui ne sera pas sans de très grandes persécutions sous Staline, 40 croyants des « Adorateurs du  Nom » sont arrêtés par le NKVD en 1930.

Persécutions qui entraîneront   la mort, lors d’une grève de la faim, en prison,  d’ Egorov  qui mourra en récitant sans fin « la prière de Jésus »  (1931) …

Luzin sera, lui, protégé par le  très grand physicien Kapitsa…

Reste qu’Egorov et Luzin sont à l’origine de l’efflorescence de la prodigieuse école russe d’analyse mathématique, même si des fils « intellectuels  » se révolteront contre leurs pères

Une bonne centaine de mathématiciens de  toute première importance comme Khintchine, Alexandrov et le géant des mathématiques : Kolmogorov .

Revenons en France.

Dans les années 1930, un groupe de jeunes Normaliens français entend, lui aussi, refonder les mathématiques mais en rejetant l’héritage de Borel, Lebesgue, Baire.

C’est le fameux groupe Bourbaki : pour lui la logique et,   beaucoup plus  encore, les probabilités,  sont l’horreur absolue.

Ces mathématiciens mettent, eux, l’accent sur l’algèbre et les structures algébriques.

Il n’y a, d’ailleurs, pas de fascicule consacré aux probabilités  dans le célèbre traité de Bourbaki, car cette branche des mathématiques est, sans doute, jugée impure, car trop issue du monde physique.

La pensée Bourbaki a régné, sans partage, dans l’après-guerre jusqu’aux années 80 : elle était connue sous la désignation  « Maths modernes » des lycéens.

Le « structuralisme » envahissait, alors,  tout : les maths, mais aussi la sociologie, l’anthropologie, la linguistique  etc.

Depuis les années 90,  les probabilités (re)jouent un rôle central en mathématiques ; mathématiques financières, calcul stochastique, réseaux de neurones, « machine learning », « big data »   etc.

Et puis on assiste,   aussi, à  un retour à la logique lié à l’expansion inouïe de l’informatique.

Bref la « dictature »  rigide, axiomatique à la Bourbaki semble, maintenant,  bien loin : les mathématiques deviennent, presque, avec l’informatique,  une science expérimentale.

Et c’est le retour  à la case départ, celle du début de cet article :  le règne des probabilistes,  des logiciens, des analystes.

Les mathématiques ont joué  et jouent dans la pensée russe, comme française,  un rôle très important : aujourd’hui encore Moscou et Paris sont, du fait de la concentration de mathématiciens qui s’y trouvent, les deux  capitales  mondiales des mathématiques …

Sources : Toutes les informations de cet article sont issues du livre merveilleux de Jean-Michel   Kantor et Loren Graham.

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14 Commentaires

  1. POST 4 SUR 4
    Ce que l’on nomme « Nicolas Bourbaki » est, en fait, un pseudonyme désignant un groupe de mathématiciens français qui, depuis 1940, a entrepris de publier un traité intitulé « Éléments de mathématique » (1958-1998). Ce traité a été déterminant car considéré comme la mise en œuvre du point de vue méthodologique structuraliste. Ici, les mathématiques ne sont ni la science des nombres, ni celles des figures, ni celle des ensembles, mais celle des structures, ces dernières étant au cœur de sa conception générale des mathématiques. Aujourd’hui, ce structuralisme méthodologique, dans la pratique des mathématiques, est intégré à la culture de base mais on s’y intéresse très peu comme sujet de recherche.

    Bravo, et merci de ce bel article !

  2. POST 3 SUR 4
    Tu dis quelques mots sur « La prière de Jésus », et c’est, effectivement, très important. En fait, « La prière de Jésus » appelée aussi « Prière du coeur » est destinée à avoir une relation permanente au Christ. C’est une prière de l’Orient chrétien. Cette prière est très courte, une dizaine de mots à peine : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». C’est au XIVe siècle, sur la presqu’île grecque du mont Athos, que sa pratique se systématise et, de là, gagne la Russie. Elle embrase la foi des moines puis celle des laïcs qui la découvrent. C’est une façon de prier sans réfléchir ne laissant parler que son coeur.

  3. POST 2 SUR 4
    La notion d’infini présente largement dans la théorie des ensembles et ses publications complémentaires de 1883, font que la métaphysique s’impose fortement à cette époque. Et boum, les théologiens se sont tapés l’incruste comme disent les jeunes d’aujourd’hui. Ils y voient une contradiction à l’unicité de l’infini divin. Et puis, Cantor, luthérien convaincu, n’arrange rien en disant qu’il pense que sa théorie lui a été inspirée par Dieu…

  4. POST 1 SUR 4
    Excellent et curieux article en même temps. Sujet passionnant cependant. En effet, la théorie des ensembles de Cantor a été publié en 1874 dans le Journal de Crelle. Il a, avec le mathématicien Richard Dedekind, fait de très gros travaux sur les séries trigonométriques et sur les nombres irrationnels. Les oppositions de ses confrères ont été nombreuses avec, en tête, Leopold Kronecker, mathématicien et logicien, ainsi qu’Henri Poincaré, mais Cantor a eu aussi ses soutiens inconditionnels comme David Hilbert. La théorie de Cantor est aujourd’hui appelée « théorie naïve des ensembles » et reste un sujet d’études en logique mathématique et informatique théorique.

  5. Nous sommes en 1024. 1000 fakes années sciemment ajoutées. Et la terre est bel et bien plate.

    • Tu a parfaitement raison. La Terre est plate. N’oublie pas tes cachets et ta boulotte avant ton gros dodo. Puis suce bien ton pouce avant de t’endormir.
      Gros câlins et gros bisous.

  6. J’enregistre l’article. Content que vous mettiez « maths » au pluriel (ai été un peu déçu par le « math » au sing. par Villani, dont j’ai regardé le livre en librairie).

    • Bonjour,

      Merci pour votre commentaire : c’est un bien pauvre article, comparé à la beauté du livre de JM Kantor …

      Oui, comme vous le savez, c’est une idée de l’époque Bourbaki, justement, « LA mathématique » c’est idiot : ça ne rend pas justice à la diversité des points de vue, des méthodes en maths.

      On le voit bien aujourd’hui le courant « dominant » actuellement en maths est très différent de celui, bourbakiste, des années 60 …

      Quel est l’ouvrage de Vilani auquel vous faites allusion ?

      • c’était récemment …mais dans une boite à lire …. crois que c’était « Théorème vivant ».

    • Merci cher Antiislam.
      Je ne commente pas les mathématiques, le sujet est trop pointu pour moi.

  7. Bonjour Antiislam,
    Pour approfondir un peu le sujet, il serait bon de disposer de cette « prière de Jésus », utilisée par les mathématiciens.

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