Le peuple russe est fidèle à l’antique tradition de l’offrande du Pain et du Sel

Le pain dans la culture slave est considéré comme une chose sacrée : pas de pain à la maison signifie qu’il n’y a rien à manger – aucun repas ne peut se passer de pain. « Le pain est la racine de la vie » est probablement le proverbe russe le plus célèbre.

■La symbolique du pain en général : approche culturelle.

Le pain noir des pauvres  sépare la vie de la mort et la dignité de la déchéance.

Rappelons la magnifique conclusion de Victor Hugo dans son poème À ceux qu’on foule aux pieds (1872) :

Et c’est pourquoi j’ai pris la résolution

De demander pour tous le pain et la lumière.….

De quelle lumière parle Hugo ? Des choses de l’esprit.

Gavroche donne du pain aux enfants – dans Les Misérables de Victor Hugo, ill. par Brion, éd. Hetzel et Lacroix

Péguy disait  « Celui qui manque trop du pain quotidien n’a plus aucun goût au pain éternel »  (Charles Péguy, Œuvres poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1948).

Il y a donc un pain quotidien et un pain éternel, l’un étant le plan matériel, l’autre le plan spirituel.

Le pain  est au centre de notre histoire,  il nous  a pétris, on peut dire d’une façon un petit peu rapide qu’au fond, le pain a fait l’homme.

Nous sommes vraiment des mangeurs de pain. On retrouve cette expression  chez Homère qui rappelle que les Grecs sont arrivés à l’art de la panification quand les  Barbares en sont restés à de vulgaires bouillies.

C’est ce qui caractérise notre histoire depuis un peu avant la sédentarisation, parce que le pain est apparu quand  les Sapiens se sont sédentarisés quelque part probablement en Anatolie d’après les dernières recherches que nous avons.

Le pain est associé à la dureté de la vie. Le pain est aussi symbole de simplicité, de  pauvreté, même.  La miche la plus connue de la littérature française est certainement celle volée par Jean Valjean, on se souvient du geste : « Le bras saisit un pain et l’emporta ».

Le pain est aussi  symbole de travail. Pour produire du pain, il faut travailler.  Si  l’on fait référence à la Bible,  quand Adam est chassé du paradis terrestre, il est dit : à la sueur de ton front, tu travailleras la terre.

L’homme est un être  soumis aux cycles naturels, limité dans ses possibilités, dépendant pour sa subsistance, sa croissance et sa vie de ce que lui fournit la nature et faire le pain est un secret transmis depuis la nuit des temps pour survivre. 

Depuis le néolithique, quand l’homme s’est sédentarisé, il a pu faire du pain et du pain levé : on va retrouver dans les tombes préhistoriques de cette  époque,  des offrandes de pain, des gerbes de blé. Evidemment, c’est plein de sens. Et dans les civilisations mésopotamienne,  égyptienne, chez les Grecs, les Romains,  la dimension  sacrée du pain  est très importante. Le pain est  divinisé, on a chez les Egyptiens Osiris qui est une des divinités associées au blé et au pain.

On a aussi Déméter, la déesse de l’agriculture et des moissons chez les Grecs. Cérès, qui a donné le nom de céréales chez les Romains. Donc vraiment, il y a cette dimension sacrée, religieuse ou non, mais en tout cas sacrée, qui existe depuis l’origine  et que les religions, notamment le judaïsme et le christianisme, vont porter encore un petit peu plus haut.

Jésus dans ses paraboles utilise  très souvent la référence au pain. Il y a là une population  qui est très proche de la terre, une population d’agriculteurs. Cet objet est au cœur de la vie des peuples qu’il rencontre, le pain est une image  forte qui lui permet d’être compris immédiatement.

Et quand le Christ dit, par exemple, « Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruits », c’est une parole qui a à voir avec la vie au delà de la mort. Ce n’est qu’en mourant à nos certitudes, à notre culture, à nos routines, à nos vérités bien closes, à nos images rassurantes, à nos prétentions que nous pourrons progresser.

Ces  agriculteurs qui sont au contact de la terre, qui plantent une  graine dans le sol voient  émerger un épi, qui porte jusqu’à  40 à 50 grains. On voit donc  la multiplication qui est offerte par la vie. Et donc cette image qu’utilise le Christ frappe les esprits.

Le pain, pour l’évangile, c’est la Parole de Dieu L’eau, c’est la présence de Dieu (son amour, sa grâce). Il faut les deux.

Les religions parlent du pain comme  le pain de vie, le pain de la vie. 

Le pain  est  symbole du travail et du partage, il est substance de fraternité et d’hospitalité.

On partage le sel comme le pain.

Ci-dessus : cérémonie protestante du Partage du pain et du sel en France

Le pain offert lie celui qui l’accepte autant que celui qui le donne. Le visiteur et l’hôte étaient liés par la fraternité de ceux qui avaient « partagé le pain et le sel ».  Partager le pain nous lie et nous engage.

Chez les Grecs, comme chez les Hébreux ou les Arabes, et chez les Russes comme nous le verrons,  le sel est le symbole de l’amitié, de l’hospitalité,  parce qu’il est partagé et de la parole donnée.

La consommation en commun du sel a la valeur d’une communion, d’un lien.

■La tradition russe, présente dans les familles, les réceptions de chefs d’Etat et certaines rencontres sportives

Le texte qui suit est tiré du blog :

https://levainbio.com/cb/crebesc/loffrande-du-pain-et-du-sel/

Carte postale russe ancienne illustrant une jeune fille en habit traditionnel russe avec motifs floraux, présentant sur le pas de la porte de sa maison, le grand pain rond russe, sa forme rappelant le soleil, symbole slave ancien de Svarog (Dieu du feu et de la métallurgie dans la mythologie slave). Ce grand pain, le Karavaï, est préparé pour les grandes occasions lorsqu’un visiteur de marque ou un voyageur est invité à partager le repas de la famille ou pour la célébration d’un mariage. Sur le pain, qui repose sur un beau linge brodé, se trouve un petit pot de sel. A partir du XIX ème siècle, dans les familles aisées, ces pots à sel devinrent de petites « chaises à sel », fabriquées par d’éminents orfèvres russes.

L’offrande du pain et du sel est une ancienne coutume russe lorsqu’un invité franchit le pas de la porte de l’isba  pour la première fois. L’invité rompt alors le pain et en imprègne de sel un morceau à partir du pot à sel posé sur le Karavaï et le mange.

Cet acte de consommer ensemble le pain et le sel est le symbole de sceller une amitié durable, ayant valeur de communion et de fraternité. Refuser de participer à cette cérémonie pourrait offenser le sentiment d’hospitalité de l’hôte.

Un mariage russe

Lors des mariages, les mamans des mariés leur offrent le pain et le sel. Une tradition dit que c’est celui qui a le plus gros morceau qui sera le maître du nouveau foyer, celui qui portera le tablier, en quelque sorte !

■Le symbole du pain en Russie

Le pain en Russie a valeur de symbole car cela a été pendant des centaines d’années la nourriture principale du peuple russe. Le pain était considéré comme un symbole de fertilité et de richesse, lié à l’idée du travail dur et long.

Pour les cérémonies de mariage, seule une femme mariée, heureuse en mariage, avait le droit de préparer le Karavaï. Les slaves croyaient que la femme était capable de transmettre une partie de son bonheur aux nouveaux mariés par le Karavaï. Par contre le Karavaï ne pouvait être mis au four que par un homme marié. Parfois le Karavaï était tellement gros que pour le sortir du four, il fallait le démonter ce dernier. On ne rompait ni ne mordait dans le pain de cérémonie. Il fallait l’embrasser trois fois. Il était découpé seulement lors du festin, de plus seul un enfant pouvait manier le couteau. Pour les obsèques le Karavaï accompagnait chacun par la cérémonie du pain et du sel pour le dernier voyage du défunt.

Complément de Russia Beyond à propos de cette tradition dans le mariage.  Dans la Russie actuelle, cette tradition est toujours populaire la cérémonie a lieu lors des mariages traditionnels russes, quand les parents des nouveaux mariés accueillent leurs enfants avec du pain et du sel après la cérémonie : le mari et la femme doivent rompre un morceau de pain, le tremper dans le sel et le manger. C’est un signe indiquant qu’ils sont prêts à partager toutes les difficultés de la vie et s’engagent à toujours prendre soin l’un de l’autre.

■Le symbole du sel en Russie

Le sel quant à lui faisait partie du légendaire russe et semblait protéger les individus des forces maléfiques. C’était une rareté et il coûtait fort cher, car il permettait de conserver les aliments, poissons et viandes. Le sel était autrefois si précieux qu’on le stockait à Moscou dans un entrepôt fortifié, dans la Solianka, la rue au Sel, une rue du centre de Moscou. La rue tire son nom de l’hôtel du sel qui se dressait depuis le milieu du XVIIe siècle et jusqu’en 1733 à l’emplacement de l’actuel n° 1/2.

Un proverbe latin datant du Moyen-Âge : Amicitia pactum salis (L’amitié est un pacte de sel) exprime que l’amitié doit s’établir lentement et être toujours durable. D’ailleurs, Pactum salis  (pacte de sel), se retrouve plusieurs fois dans les livres saints, pour caractériser une alliance inviolable et sacrée, vraisemblablement par allusion au fait que le sel empêche la corruption des aliments.

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11 Commentaires

  1. Très bel article, instructif et émouvant, comme toujours.
    Le pain, du bon et du varié, dans notre pays pour ce qu’il en reste, est encore une des rares choses que l’on sait faire grâce à nos formidables artisans boulangers si compétents et courageux.
    Mais, grâce au fossoyeur Macroncescau, ces formidables artisans boulangers disparaissent régulièrement, comme nos agriculteurs et beaucoup d’autres, par une électricité quadruplée pour suivre les directives nazies européennes et des charges qui écrasent tout.
    Macroncescau n’oublie aucun secteur à détruire. Un grand merci à tous ses électeurs et à ceux de LFI aussi. C’est grâce à eux que notre pays entre progressivement dans le tiers-monde.

  2. Bonjour Jules. Désolé de te le dire. J’ai longtemps hésité à le faire. Mais tu serais gentil de changer le nom de ta rubrique « Russie mon amour ». Je respecte tes sentiments envers la Russie. Mais il se trouve que la Russie est mon amour à moi, même si je n’en parle pas beaucoup. L’amour, ce n’est ni du pain ni du sel. On ne le partage pas. Amitiés.

  3. Merci beaucoup pour cet article .Ces jolis pains Russes nous font rêver.Si on pouvait faire cesser ce desastre qui envahit l’Occident si précieux.Par ailleurs le blé,en FRANCE,est surchargé de gluten.Dommage.

  4. Décidément jules, vous savez nous faire plaisir avec vos articles qui nous font rêver. Je vous remercie pleinement pour cet hommage rendu au pain et au sel, d’autant plus que j’ai terminé ma carrière d’électronicien comme boulanger! Il ne vous reste plus qu’a nous faire un article sur la symbolique de l’eau et la trilogie sera accomplie, bonne journée !

  5. Merci Jules pour cet article. Je me rappelle avec émotion le poème de Rimbaud : Les Effarés. J’ai les larmes aux yeux chaque fois que j’y pense. Je suis une vieille bourrique sentimentale. Faut m’excuser.

    • Bonjour Argo, c’est un poème profondément émouvant, ne surtout pas s’excuser d’être humain ! Surtout par ces temps de barbarie

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