La « voracité » de certains groupes de crèches privées combinée à l' »inaction » des pouvoirs publics a eu des impacts « dramatiques » sur le secteur et sur les enfants, souligne le journaliste d’investigation Victor Castanet dont le livre « Les Ogres » (Flammarion) sort mercredi.
Victor Castanet, auteur de « Les Ogres », une enquête sur certaines crèches privées : « Il y a des punitions, avec des enfants punis dans le noir, sans tétine, sans doudou, des humiliations quand les enfants ne sont pas propres, des privations de nourriture, des coups. » #le710inter pic.twitter.com/cv8sLXdXPv
— France Inter (@franceinter) September 17, 2024
« Le sujet s’est imposé à moi. Si je dois avoir un fil rouge dans mon travail d’enquête, c’est celui de la vulnérabilité », affirme le journaliste Victor Castanet. L’auteur des « Fossoyeurs », enquête qui avait révélé en 2022 des cas de malversation et de maltraitance chez le géant des Ehpad privés Orpea, révèle cette fois la « voracité » de certains groupes de crèches privées, dont le groupe People & Baby.
« Ce secteur de la petite enfance, comme le secteur de la dépendance, traite de la manière dont notre société gère les plus fragiles. C’est un sujet qui me tenait à cœur », ajoute le journaliste. Dans cette enquête, Victor Castanet cite plusieurs exemples : « Il y a des punitions, avec des enfants punis dans le noir, sans tétine, sans doudou, des humiliations quand les enfants ne sont pas propres, des privations de nourriture, des coups. » Il revient également sur l’homicide d’une fillette en juin 2022, empoisonnée avec du déboucheur : « J’ai découvert que la professionnelle avait été embauchée avant cela par un autre groupe, et qu’elle avait été licenciée au bout de cinq jours. »
Victor Castanet : « Il y a une différence énorme entre les différents groupes de crèches privées : la masse salariale. Chez La Maison Bleue, ils investissent 9500 euros de masse salariale par berceau (…) c’est 11500 euros chez Baby Loup, soit 20% de plus. » #le710inter pic.twitter.com/Dj5MClmoK2
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Un secteur sous haute tension
Faible niveau des salaires, manque de reconnaissance, dégradation des conditions de travail…. Comme d’autres secteurs du travail social et des métiers du soin, celui de la petite enfance souffre d’une profonde crise d’attractivité. Résultat, de plus en plus de crèches se retrouvent confrontées à des problèmes de sous-effectif avec des manques évalués par la CNAF, la Caisse nationale d’allocations familiales, à 10.000 professionnels.
Victor Castanet raconte également le « pacte de non-agression » qui aurait été conclu entre l’ancienne ministre des Familles Aurore Bergé et le lobby des crèches privées. Contactée par France Inter, Aurore Bergé répond : « Je ne souhaite à personne ce procès basé uniquement sur des rumeurs et l’aigreur d’un ancien collaborateur qui m’espionnait. J’aimerais être jugée sur ce que j’ai fait. »
En complément, lire cet article du Huffington post qui accuse clairement l’ancien Ministre des Familles Aurore Bergé |
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Une diminution par trois des coûts en quinze ans
Interrogé par Léa Salamé, le journaliste a décrit comment, en une vingtaine d’années le secteur de la petite enfance s’est transformé avec l’arrivée de groupes à but lucratif. « Il y a une vingtaine d’années, on a ouvert le marché des crèches municipales à des opérateurs externes, et notamment des opérateurs privés. On a fait des délégations de service public, on lance un appel d’offres, et il y a plusieurs personnes qui répondent. Ce qui s’est passé, c’est que le marché s’est ouvert », résume Victor Castanet, qui explique qu’en gestion directe, un berceau (une place en crèche) coûte 12 000 euros par an.
« De premiers opérateurs comme Babilou sont arrivés avec des offres à 8 000 euros : c’était avantageux pour les mairies qui faisaient une économie et les groupes avaient l’impression de bien faire leur travail. Puis, d’autres opérateurs sont arrivés : People&Baby, La Maison Bleue, Les Petits Chaperons Rouges, qui ont cassé les prix pour conquérir de nouvelles parts de marché », poursuit le journaliste, qui relate des berceaux passés à 4 000, voire 3 500 euros par an en l’espace de quinze ans.
Du low cost, même à la crèche de Matignon
Cette « politique du low cost à fond » n’a pas épargné la crèche de… Matignon. Dans cette structure confiée à un groupe privé depuis 2023, et où sont accueillis les enfants des collaborateurs du Premier ministre, le berceau coûte 3 000 euros.
Selon Victor Castanet, ce choix de faire appel à l’opérateur au prix le plus bas a été décidé après un appel d’offres sur lequel s’étaient positionnés les groupes Babilou et Les Petits Chaperons Rouges. « Babilou propose 10 % de masse salariale supplémentaire, soit un poste et demi en plus. Matignon choisit évidemment l’offre la moins chère, sans se rendre compte qu’il participe à la dégradation continue depuis dix ans de l’accueil des petits enfants », pointe-t-il.
Si ce système bien rodé perdure depuis tant d’années, c’est aussi parce que le lobby des crèches privées disposerait de liens privilégiés. Notamment avec l’ancienne ministre de tutelle du secteur, Aurore Bergé. Dans Les Ogres, Victor Castanet révèle l’amitié qui la lierait à Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèche (FFEC).
Il affirme qu’il y a un an, lorsque sont parus deux autres livres sur le système des crèches privées, Elsa Hervy et Aurore Bergé « se sont entendues avant la sortie de ces livres, qui ont échangé de manière très régulière », ce qui a abouti à la reprise d’éléments de langage de la part de la ministre. « A été demandé à la Fédération de ne pas taper sur la politique gouvernementale de la petite enfance et de soutenir la ministre. En échange de quoi, la ministre fera preuve de mansuétude et fera passer un certain nombre de messages », détaille Victor Castanet sur France Inter. De son côté, Aurore Bergé n’a pas encore répondu à ces accusations.
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