Ben Gourion, malgré Platon et Spinoza, n’était pas un intellectuel. Loin de là. À mon sens, c’était un paysan visionnaire. Il y avait chez lui quelque chose de primitif, d’un autre âge…
Amos Oz[1]
Ben Gourion n’est pas un penseur sioniste d’envergure, c’est l’homme dont l’idée maîtresse demeure l’identification entre la classe travailleuse juive en Eretz-Israël et la nation qui s’y construit.
Bensoussan[2]
Il n’est pas évident de retracer l’origine d’une idée, peut-être encore plus s’agissant d’une idée fausse. C’est la réflexion que je me suis faite en lisant chez Georges Bensoussan que David Ben Gourion n’était pas un penseur d’envergure.
L’idée a de quoi séduire : d’un homme d’action et d’un dirigeant aussi important que Ben Gourion, on n’attend pas qu’il soit aussi un intellectuel… Mais cette idée est fausse. Ben Gourion était aussi un intellectuel, comme je m’en suis aperçu en lisant et en traduisant ses textes consacrés au messianisme et au secret de l’existence juive, réunis dans le dernier volume de la Bibliothèque sioniste qui paraît ces jours-ci.
Celui qu’on a surnommé le “prophète armé” était aussi un intellectuel, c’est-à-dire un homme qui n’a jamais cessé de réfléchir et de s’interroger sur le destin juif et sur les mystères de l’histoire juive. La question essentielle – s’il fallait en désigner une seule – qui a préoccupé David Ben Gourion pendant de nombreuses années était celle du miracle juif, ou plus exactement du miracle israélien. Admirateur des révolutions américaine, française et russe et des dirigeants qui les ont menées, il voyait dans la révolution sioniste un miracle supérieur à celui de toutes les révolutions qui l’avaient précédé car, écrivait-il en 1957, “La révolution juive n’est pas seulement dirigée contre un régime, mais aussi contre le destin, contre le destin unique en son genre d’un peuple unique en son genre”.
En traduisant ces textes, j’ai découvert que Ben Gourion était non seulement un intellectuel prolixe et original, mais qu’il était aussi un Juif profondément habité par la double idée de messianisme et d’élection d’Israël. Cette découverte peut sembler étonnante, voire paradoxale, à une époque où on aime à ranger chaque dirigeant – et chaque personne en général – dans des catégories simplistes et souvent artificielles. Il est ainsi de bon ton de considérer aujourd’hui que le messianisme juif serait une idée dangereuse, souvent assimilée à la droite – voire à l’extrême-droite – religieuse en Israël. Rien n’est plus faux.
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Ben Gourion lui-même était en effet habité par l’idée du messianisme, et avait intitulé “En faveur du messianisme” un article écrit en réponse à Shlomo Avineri, que je publie dans le recueil qui porte précisément ce titre. L’autre “découverte” que j’ai faite en écrivant ce livre est que les reproches adressés à Ben Gourion par les intellectuels de l’université hébraïque étaient pour ainsi dire identiques à ceux qui sont adressés aujourd’hui à B. Nétanyahou : son pouvoir excessif et prolongé, son autoritarisme, le “messianisme” de ses alliés politiques et le danger qu’il ferait courir à la démocratie ! Et il n’y a rien de nouveau sous le soleil…
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Ce qui me ramène à ma question initiale. Celui qui (parmi d’autres) a inventé l’idée d’un Ben Gourion non intellectuel est Amos Oz, qui étudia à l’université hébraïque à l’époque de l’affaire Lavon et subit l’influence subversive des professeurs de l’époque, foncièrement hostiles à Ben Gourion et à sa vision de l’histoire juive. Amos Oz a ainsi pu écrire, sous leur influence, des lignes aussi excessives que celles-ci : “chez Ben Gourion, j’ai vu la noirceur de la flamme du diable… Il incarnait toute la mystique juive, la Kabbale, Sabbataï Zvi et les suicides sanctifiant le nom de Dieu”.
On peut pardonner à l’écrivain ces excès de jeunesse, qu’il aurait été bien inspiré de tempérer en écrivant son beau livre autobiographique (où il n’épargne pas plus Menahem Begin que Ben Gourion). De l’historien, on doit attendre une plus grande exactitude.
J’espère que le livre que je publie aujourd’hui permettra de rectifier certaines idées fausses concernant Ben Gourion, dont la figure et l’exemple sont encore une source d’inspiration essentielle, alors qu’Israël vit sa deuxième Guerre d’Indépendance.
Pierre Lurçat
D. Ben Gourion, En faveur du messianisme, L’Etat d’Israël et l’avenir du peuple Juif, “La bibliothèque sioniste”, éditions l’élépha[1] Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres.
[2] G. Bensoussan, Une histoire intellectuelle et politique du sionisme, p. 414.
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Réservé aux initiés.