L’idéal de la poupée Barbie existait déjà au Moyen-Âge

“L’idéal de la poupée Barbie existait déjà au Moyen-Âge” : Stanis Perez raconte l’histoire du corps des femmes

Propos recueillis par Etienne Campion

Publié le 23/08/2024

Dans « Le corps des femmes – Mille ans de fantasmes et de violences », l’historien Stanis Perez livre une captivante somme sur la façon dont, des croisades à nos jours, a évolué « le rapport à la fois fantasmatique et violent au corps des femmes ».

Une histoire du corps des femmes. Sa douloureuse épopée, mais aussi son refus des normes masculines, qui survient tôt, contrairement à l’idée selon laquelle seule l’aliénation prévalait. Avec Le corps des femmes – Mille ans de fantasmes et de violences – XIe-XXIe siècles, paru chez Perrin, l’historien Stanis Perez livre une somme déroutante et captivante à la fois. Professeur agrégé, il est codirecteur de l’axe de recherche Corps, santé, société à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord.

Marianne : Qu’entendez-vous par le « complexe de Cléopâtre » ?

Stanis Perez : C’est le nom que j’ai donné, en référence au nez de cette reine d’Égypte (selon Blaise Pascal, il aurait changé la face de la Terre s’il avait été plus court), à un problème récurrent dans l’histoire du corps des femmes. C’est une malédiction, en fait : on reproche toujours aux femmes d’être trop belles, trop puissantes, trop intelligentes… et, ensuite, ça finit mal pour elles. Comme Œdipe a été puni, selon Sophocle, pour avoir aimé sa mère sans le savoir, Cléopâtre s’est suicidée après être devenue la femme la plus puissante et la plus convoitée de son époque.

Bien sûr, il y a une part de légende, mais je prends cela comme une parabole. Aujourd’hui encore, combien de femmes payent très cher leur féminité et d’autres qualités que les hommes finissent par haïr, souvent par pure jalousie ? Cette constatation a été le point de départ de mon livre et j’ai voulu voir comment évoluait, depuis mille ans, ce rapport à la fois fantasmatique et violent au corps des femmes.

Peut-on raconter le corps des femmes quand on est un homme historien ? Et comment ?

Le regard de l’historien est un peu celui de l’anthropologue : il observe ce qui lui est partiellement étranger en se méfiant de lui-même ; mais ça n’empêche pas de découvrir des choses et surtout de dénoncer des violences, des aberrations, des abus. Le viol d’une fillette au XVe siècle, ça reste un crime horrible ; vouloir pratiquer une ablation du clitoris sur une adolescente parce qu’elle se masturbe trop, comme on l’a fait au XIXe siècle, ça reste inqualifiable, que l’on soit un homme ou pas.

Par ailleurs, beaucoup des femmes que j’ai croisées dans mes lectures se prenaient pour des hommes, donc cela nous rapproche également ! Et ma part de féminité m’a peut-être aidé aussi ! Plus prosaïquement, je dirais que dans mes lectures préalables à la rédaction de mon livre, j’ai rarement perçu de différence entre les historiens et les historiennes quand il s’agissait de parler des femmes. Et si je m’en étais tenu à des sources et à des archives écrites par des femmes, mon livre, hélas, ne ferait que trente pages.

Quels enseignements tirez-vous de l’image du corps de la femme au Moyen Âge ? Quels étaient les canons de beauté ?

Il existe une continuité édifiante entre cette époque et la nôtre : que ce soit la Vierge ou les fées de la littérature épique, la femme parfaite doit avoir les cheveux blonds, les yeux fins, la peau très claire, être jeune si possible et fine de corpulence… La poupée Barbie aux temps des croisades, en somme. C’est assez incroyable mais nos canons s’inscrivent dans une longue tradition qui a connu des évolutions, en réalité, assez minimes. On fait déjà la chasse à la pilosité excessive et aux problèmes de peau tandis qu’on parle de soutien-gorge et de conseils de colorations pour éclaircir ses cheveux.

Toutefois, en parallèle, et ça, c’est différent, il existait un culte de la souffrance consentie à des fins spirituelles : on mettait en avant des mystiques passant leur temps à se fouetter et à se mortifier pour s’élever jusqu’à la sainteté. Mais certains théologiens leur reprochaient de trop détester leur corps, création divine à protéger malgré ses péchés. Certaines ne mangeaient plus beaucoup : on parlait déjà d’anorexie dans les couvents médiévaux.

« On s’illusionne au sujet d’un éventuel culte de la plastique féminine au cours de la Renaissance italienne ». Qu’est-ce à dire ?

Les artistes de la Renaissance préfèrent le corps des hommes, Léonard et Michel-Ange en particulier, et pas uniquement du fait de leur orientation sexuelle. L’anatomie, en référence à l’Antiquité, est une architecture mystérieuse, et pas un « objet » forcément érotique. Pour les femmes, même si la nudité fait irruption dans l’iconographie, elle conserve quelque chose de froid, de « scolaire », comme des prouesses en matière de réalisme mais qui sont rarement « sexy ».

D’ailleurs, la grâce est jugée équivalente dans les deux sexes, nul besoin de montrer des fesses rebondies ou des seins fermes. Beaucoup de peintures ou de gravures montrent des déesses plutôt désincarnées, avec une peau de porcelaine et très peu de sensualité quand il ne s’agit pas, comme souvent, de se moquer de la vanité de dames trop attachées à leur beauté éphémère.

On se préoccupe peu des vraies femmes du quotidien et l’on préfère des visages idéalisés et des corps souvent proche de l’adolescence : franchement, quel âge donneriez-vous aux Vénus de Botticelli ? Ce qui obsède les artistes, c’est un corps parfait, quel que soit son sexe. Peau immaculée également : je pense que la hantise de la syphilis, une MST qui défigure horriblement, a pu jouer un rôle dans cette fascination pour des visages et des anatomies lisses, sans rides, sans cicatrices ou marque quelconque.

1789 ne marque, selon vous, pas une césure nette dans la façon de traiter le corps des femmes…

Pas du tout, et d’ailleurs les révolutionnaires ont été parfois de terribles pourfendeurs de la féminité. Si l’on met Olympe de Gouges (qui finit guillotinée) et Marianne (il y avait déjà une allégorie de la Res publica en ornement du château de Versailles sous Louis XIV) à part, le reste est très machiste. Des femmes qui font de la politique ? Insupportable ! Cela rappelle les reines qui ont mal conseillé leur mari, d’Isabeau de Bavière à l’Autrichienne…

Et quand Théroigne de Méricourt, une authentique insoumise qui devrait figurer dans les programmes scolaires, a pris les armes, quelques années plus tard, elle finit internée avant de devenir un cas d’école de la psychiatrie. Une femme qui entend défier les hommes, avoir une vision politique personnelle et faire preuve de détermination pour prendre le pouvoir, c’était trop pour ses contemporains : des psychiatres iront jusqu’à disséquer son cerveau pour y chercher la raison de telles inepties !

Le pouvoir ne se partage, entre sexes, que dans les beaux discours : les révolutionnaires ont toujours redouté leurs consœurs et ceci explique peut-être que, finalement, les Françaises ont voté après les Turques. Je ne dirai pas que la République est un peu machiste, même si son histoire le sous-entend, mais tout ceci n’est pas très égalitaire et fraternel, tout de même.

Au XIX° siècle, on découvre des propos extrêmement méprisants sur les violences quotidiennes faites aux femmes. À quel moment les mentalités ont-elles changé sur ce sujet ?

La Révolution industrielle a exacerbé les tensions au sein des couples en milieu urbain : exode rural, forte natalité, femmes qui travaillent, alcoolisme, etc. Le tout dans un contexte de forte culpabilisation médicale autour des questions de sexualité. Entre les frustrés se prenant pour des pervers, les maris colériques et les consommateurs d’absinthe, cela faisait beaucoup et les faits divers qu’on peut collecter dans la presse de l’époque font froid dans le dos.

Les juges donnent souvent raison aux hommes violents, y compris quand ils forcent leur épouse à pratiquer des rapports intimes non consentis. Des dictons du plus mauvais goût circulent alors et banalisent les violences conjugales : on attribue à un général de Napoléon la comparaison des femmes avec les entrecôtes puisqu’il faudrait, selon le militaire, les battre pour mieux les attendrir… Ce qui change, peu à peu, c’est la dénonciation de la misère sociale et du machisme qui s’y greffe parfois. On pourra relire les écrits de Maria Deraismes (1828-1894), une authentique féministe éprise de liberté et de compassion pour ces épouses qui captaient souvent la haine de leur mari.

Il y a souvent, derrière ces exactions, une forme de détournement des tensions sociales et/ou psychologiques. Les femmes paient injustement les frustrations des hommes : le petit dictateur domestique frappe son épouse parce qu’il ne peut lever la main sur son patron tandis que l’assassin en mal de sexe poignarde au hasard un corps féminin qui l’obsède. D’une revanche, l’autre ; d’une domination, l’autre. Relisons les romans et la presse du XIXe siècle, la violence faite aux femmes, voire par les femmes, y est omniprésente mais elle semble susciter davantage de fascination que de condamnation.

Quand est arrivée la fin du port du corset ? Y a-t-il eu des résistances de la part des hommes ?

Il n’a jamais disparu ! Il a changé de forme, c’est tout. Disons qu’au début du XXe siècle, la mode change et l’accès des femmes à de nouvelles tâches impose de « libérer » le corps de ses entraves vestimentaires. Le styliste Paul Poiret libère le corps de la bourgeoise, avant Chanel et Yves Saint Laurent. N’oublions pas, toutefois, que les paysannes et les ouvrières, du fait de leur activité physique, étaient bien éloignées de cet accessoire de cour introduit, dit-on, par Catherine de Médicis.

Mais la dictature du ventre plat et de la poitrine qui ressort n’a pas cessé, bien au contraire. Les normes ont horreur du vide, dès que l’une d’entre elles disparaît, elle est remplacée par une autre qui lui ressemble beaucoup. La minijupe de Mary Quant impose d’avoir de belles jambes fines, tout comme les talons hauts. Finalement, les robes 1900 autorisaient un peu toutes les silhouettes même si les gravures de mode et les affiches d’Alfons Mucha allaient déjà dans le sens d’une minceur d’adolescente gracile. Les entraves, dis-je, ont changé de support et sous le prétexte de révéler la beauté des courbes féminines, on impose de quoi satisfaire le regard des hommes.

Si quelques barbons ont fait mine de regretter l’heureux temps des corsets et des jupons, le reste de la gent masculine a applaudi aux bikinis. Liberté vestimentaire, mais au service de ces messieurs, et puis l’exercice d’une profession à temps plein et la gestion des enfants devaient faire le reste : ces corsets-là demeurant d’actualité, on pouvait bien tolérer que les gaines et les soutiens-gorge prennent la relève. Mais la minceur devait rester la norme dominante et, d’un certain point de vue, la contrainte physique que représentait le corset s’est intériorisée alors que les magazines masculins et féminins ont exhibé, par millions, des images de femmes au ventre parfaitement plat. Aujourd’hui, la mode controversée du crop top remplit la même fonction : imposer un ventre plat sans le concours direct d’un accessoire.

Les femmes n’ont-elles pas, aussi, en se féminisant, un peu masculinisé la féminité ?

Oui et non. Il a toujours existé une complémentarité entre le masculin et le féminin. Des tensions, de la compétition, certes, mais aussi de la complémentarité. Le féminin ne saurait être perçu comme un autre continent, un territoire inaccessible et totalement séparé du masculin. En fait, j’ai pu mesurer, en écrivant ce livre, à quel point on a oublié que les sociétés anciennes valorisaient plus qu’on ne le pense la virilité des femmes. Et pas que pour les reines.

Beaucoup de femmes participaient aux conflits armés (qui se souvient de l’impétueuse Jeanne de Clisson, la « tigresse bretonne » ?), avaient des activités intellectuelles (à tort, Hildegarde de Bingen est moins célèbre que Christine de Pizan) ou faisaient preuve d’une endurance physique hors du commun (bien des mystiques passaient pour des athlètes internationales de la foi !) et on rendait hommage à leurs qualités viriles. Et puis, on a censuré cette manière de penser la dualité en s’imaginant que la culture occidentale n’était que machisme et violence à l’égard du « deuxième sexe », expression terrible.

Il est vrai, ceci dit, qu’il y a un siècle, les premières tentatives pour s’émanciper du point de vue économique, social et sexuel ont donné lieu à cette interprétation : point de liberté sans la masculinité. On voit des garçonnes couper les cheveux, porter des pantalons, aller au bar et draguer… d’autres femmes.

Toutefois, assez tôt, de grandes plumes, lesbiennes ou non, ont dénoncé cette façon de singer les hommes. Et les féministes se sont divisées ensuite autour de cet accès à la liberté : est-on condamnée à imiter les hommes lorsqu’on souhaite s’affranchir du patriarcat ? Manifester et crier « Mon corps est à moi » ne suffit pas. Ensuite, les choses se sont tassées, mais assez récemment en réalité ; plus besoin d’être une garçonne pour être indépendante, choisir son style de vie et s’assumer dans tous les aspects de la vie quotidienne.

En réalité, pour le dire rapidement, la question du genre est désormais dépassée ; il reste le problème de la relation aux autres, au travail et en société, à des facteurs de violence multiples et aussi à des modèles qui refusent cette émancipation. De plus en plus de femmes, notamment très jeunes, ne vont pas dans le sens de l’histoire que j’ai racontée.

Pour elles, la liberté ultime consiste à refuser le modèle occidental, jugé confus, hypocrite et permissif, et d’assumer un modèle traditionnel promouvant le patriarcat. Dire que la féminité est une construction culturelle, c’est-à-dire le résultat d’une longue évolution, est une évidence. Mais cela suppose aussi d’accepter d’autres définitions de cette féminité puisqu’elle n’est ni universelle, ni immuable. En conséquence, je pense que la confrontation culturelle des genres va laisser place à une confrontation communautaire des modèles de féminité et de masculinité.

Juvénal de Lyon

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3 Commentaires

  1. L’apparence féminine dans l’art, relève plus de la matérialisation de la vision fantasmatique de l’artiste créateur que d’un témoignage d’une certaine mode ou dictature du physique imposée par un pouvoir quelconque : Rubens n’est pas Botticelli. Encore un énième livre sur “les femmes à travers les âges” et toujours à côté de la plaque. Les représentations artistiques ne sont pas la vérité du vécu, or les historiens ne disposent pas de machines à remonter le temps!

  2. “De plus en plus de femmes, notamment très jeunes, ne vont pas dans le sens de l’histoire que j’ai racontée.

    Pour elles, la liberté ultime consiste à refuser le modèle occidental, jugé confus, hypocrite et permissif, et d’assumer un modèle traditionnel promouvant le patriarcat”.
    La religion des sables les fustige : 4 : 34 – Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs bien. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection de Dieu. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les…
    Si tu bats ta femme tous les matins et que tu ne sais pourquoi, elle, elle le sait (proverbe oriental) Z’ont-elle inventé le masochisme ?

  3. Je tiens à m’excuser si j’ai troublé le regard égrillard de quelques lecteurs musulmans avec la belle odalisque nue, ils n’auront qu’ à se rincer l’oeil pour retrouver une claire vision !!! Par ailleurs ceux qui auraient envie de se “palucher” à la vue de ces images pseudo-érotiques qu’ils se rassurent, elles ne les rendront pas sourds, m’ a assuré l’ Imam de Brest préalablement consulté. Allah tolère la représentation photographiques depuis l’ invention de la télévision, il permet la diffusion mondiale d’images d’ exécution d’otages impies sur la chaîne TV Qatari ! Ils seront pardonnés par ce dieu impuissant ! (En effet le coran nous dit expressément qu’il ne peut procréer)