Güvercin, expert en islamisme : « L’un d’eux m’a écrit, je brûlerai ta famille »

BERLINER ZEITUNG

Güvercin, expert en islamisme : « L’un d’eux m’a écrit, je brûlerai ta famille »

En tant que critique d’associations islamiques et du Président turc, Eren Güvercin s’est fait beaucoup d’ennemis. Depuis le 7 octobre, il est encore plus menacé. Interview.

Maximilian Beer

« Même les islamistes ne sont pas tous pareils », dit Eren Güvercin.

Comme lieu d’interview, Eren Güvercin a proposé le Café Einstein Unter den Linden. C’est une chaude journée de juillet, à Berlin-Centre.

[…]

A quelques centaines de mètres de là, près de la Porte de Brandebourg, il a parlé pour Israël en octobre dernier lors d’une manifestation de solidarité Quelques jours auparavant, des terroristes du Hamas avaient assassiné plus de 1 200 personnes. Sur scène, Güvercin a déclaré que les musulmans ont eux aussi la responsabilité de la sécurité des Juifs en Allemagne. Depuis, il est menacé avec encore plus d’agressivité.

Eren Güvercin est lui-même musulman. Comme critique sévère des associations islamiques et du Président turc, Erdogan, le publiciste s’est fait un nom, et beaucoup d’ennemis. Mais les discussions récurrentes sur l’islam le dérangent. « Nous parlons de l’islam comme nous parlons de l’Allemagne de l’Est », a-t-il souligné dès le début de l’entretien.

Cette comparaison est nouvelle pour moi, Monsieur Güvercin. Pourquoi pensez-vous ça ?

Cela résonne souvent comme si c’était une collectivité, un amoncellement homogène. Les Allemands de l’Est sont comme ça, les musulmans sont ainsi. Ou bien les Turcs. Mais ces groupes sont incroyablement hétérogènes. Beaucoup de gens ne semblent pas en avoir conscience.

Après les élections européennes, l’étonnement était grand au motif que beaucoup de personnes jeunes avaient voté AfD. La jeunesse était pour les Verts, en fait, disait-on. C’est en tout cas ce que rapportent les médias depuis des années.

Alors que les personnes jeunes sont très dissemblables. Même les islamistes ne sont pas semblables, même là, il y a des différences. En partie, ils sont même ennemis les uns des autres. Pour certains, l’emploi de la violence est légitime, alors que d’autres respectent la loi. Il existe divers courants islamistes. Cela ne simplifie pas le problème, mais c’est uniquement ainsi qu’on peut reconnaître ce qu’on peut faire contre. Cela vaut aussi pour l’AfD, en fait. Celui qui insulte tous les membres de ce parti en les traitant de nazis ne remédie pas à la situation.

Eren Güvercin, né en 1980 à Cologne, est auteur indépendant et journaliste. Il a étudié le Droit à l’Université de Bonn. Güvercin est cofondateur de la société « Alhambra-Gesellschaft » et de l’association PEN Berlin. Depuis 2023, il est vice-président fédéral de l’association « Diversité libérale ». En 2012 a paru son livre « Néo-musulmans. Portrait d’une génération allemande. »

Dans quelle mesure parle-t-on de manière trop générale de l’islam ?

Une chose au préalable, je réagis de manière très allergique quand des représentants d’associations musulmanes se plaignent d’une suspicion généralisée. Dès que les structures du groupement sont critiquées, c’est repoussé comme racisme antimusulman supposé. Toujours le même réflexe. Mais le discours des médias est souvent indifférencié, oui, particulièrement depuis les attentats terroristes de 11 septembre aux États-Unis. Subitement, le musulman était un danger pour la sécurité. J’ai moi-même vécu cela.

Comment était-ce à l’époque et comment avez-vous abordé la situation ?

Je suis arrivé en 2001 à l’Université de Bonn comme jeune musulman. Du matin au soir, on n’y parlait que d’Al-Qaida, du terrorisme islamiste. Cela a pas mal agi sur moi. Subitement, il y avait cette énorme pression. On parlait beaucoup des musulmans, mais peu avec nous musulmans. Pendant de nombreuses années, j’avais ce besoin de protéger d’une manière quelconque tous les musulmans. C’est aussi pour cela que je me suis intéressé au journalisme. J’ai donc publié des contributions. Aujourd’hui, je sais que c’était avant tout de l’activisme. Je voulais défendre ma communauté. Une agréable approche, en fait. Mais elle mène à ce que nous, les musulmans, ne sommes plus en mesure de parler d’évolutions problématiques dans notre communauté.

Une sorte de Fort de chariots, donc, une tactique non pas militaire, mais civile ?

J’en étais un des éléments. Il y avait alors la désignation professionnelle « critique de l’islam ». Dans ce que disaient ou écrivaient ces gens, tout n’était pas faux. Moi aussi, j’ai pris conscience des problèmes. Bonn était à l’époque un fief des salafistes. J’ai vu ces types résolus en ville. Il y avait là des types qui partaient en Afghanistan pour y combattre les Américains. Des jeunes de Bonn. Et pourtant, je pensais : il nous faut aborder ces développements de manière critique en interne, mais vers l’extérieur, nous devons nous défendre contre, tous ensemble et avec détermination. Cependant : ce discours interne critique n’a jamais existé sous cette forme. Je ne voulais pas me l’avouer.

Absolument aucune discussion ? C’est difficile à comprendre avec plus de cinq millions de musulmans en Allemagne.

De façon ponctuelle, si, mais les grands groupements empêchent systématiquement un discours intra-musulman critique. Donc Ditib, Millî Görüş, Conseil central des musulmans. Les suspects habituels, quoi. Ils organisent les mosquées. Et ils empêchent ces discussions internes, parce qu’elles remettraient en question justement leurs structures organisationnelles. Ces expériences ont mené à ce que je ne défende plus comme par une sorte de réflexe les musulmans contre les critiques uniquement parce qu’ils sont des musulmans, mais que j’aborde tout à fait franchement les problèmes qui existent.

Comment en êtes-vous arrivé à ça ?

J’étais invité chez des organisations de jeunes de ces groupements. Si on y aborde des sujets critiques, on n’est subitement plus invité. Ou bien les invitations sont annulées par les fonctionnaires des associations. Ils ont peur qu’on ne « perturbe » ces jeunes gens. Sinon, ceux-là vont encore poser des questions. La jeunesse est certes socialisée dans ces mosquées et associations, mais elle ne possède pas une image fermée du monde. Il faut bien sûr parler de la discrimination. Mais cela ne doit pas être un alibi pour ne pas aborder l’islamisme ou le nationalisme turc. Il y existe de l’homophobie, du racisme contre les Noirs, les Kurdes, les Alévis …

Et l’antisémitisme. C’est ce qu’ont montré au plus tard beaucoup de réactions après l’attaque du Hamas contre Israël.

Quand j’ai parlé d’antisémitisme dans les milieux musulmans après le 7 octobre, des activistes de gauche m’ont reproché de servir le racisme antimusulman. Cela envenime la discussion. Si je ne peux pas cela en tant que Musulman, qui d’autre doit le faire ? Ce sont les chantiers de ma propre communauté religieuse. Et dans ce cas, je n’admets pas cette agitation des activistes de gauche.

[…]

En octobre dernier, Eren Güvercin est intervenu lors d’une manifestation de solidarité pour Israël à la Porte de Brandebourg.

Entre-temps votre rôle en tant que publiciste a changé. Dans une interview, vous avez été présenté récemment vous aussi comme « critique de l’islam ». Vous sentez-vous bien décrit ainsi ?

Non, mais cela arrive constamment. Je suis un critique des groupements musulmans et des structures islamistes. Mais je suis aussi moi-même un musulman croyant. Cela ne convient pas à certains. Beaucoup voient les musulmans comme quelqu’un ne remettant rien en question et ayant intériorisé une idéologie. Et puis, ils voient encore les critiques de l’islam. Mais effectivement, les groupements islamiques ne répondent pas aux réalités de la vie des musulmans. Ce sont des représentations d’intérêts politiques plutôt que des communautés religieuses. Ditib est contrôlé par l’État turc. Le Comité central des musulmans a des rapports avec les Frères musulmans.

Dans l’entretien préalable à cette interview vous avez dit que les mois écoulés avaient été turbulents. Je suppose que vous parlez du temps passé depuis le 7 octobre. Comment l’avez-vous vécu ?

Pour les Juifs en Allemagne, cette date a été une grave césure. Mais pour les musulmans également, elle a été une coupure. L’antisémitisme dans la communauté musulmane n’est rien de nouveau pour les connaisseurs de la scène. Mais pour des parties de l’opinion publique cela a été un choc. À quel point extrême la haine des Juifs y a été mise en évidence ! Cela nous occupera encore longtemps. Moi aussi, j’étais comme paralysé quand j’ai pris conscience de l’ampleur. Mais j’étais également très en colère, quand j’ai dû lire les premières déclarations des fonctionnaires des groupements musulmans. Que je le veuille ou non, ils sont perçus comme des représentants des musulmans en Allemagne. Également comme les miens.

Depuis lors, vous avez pris position contre l’antisémitisme musulman avant tout sur les réseaux sociaux. À la Porte de Brandebourg, vous êtes intervenu à l’occasion d’une manifestation de solidarité avec Israël et les Juifs en Allemagne.

J’ai qualifié le Hamas d’organisation terroriste il y des années déjà. J’ai toujours été attaqué à cause de cela. On dit alors que je ne fais cela que pour avoir du succès dans les médias. Les médias seraient contrôlés par des Juifs. Après l’attaque, j’ai montré naturellement tout à fait ouvertement ma solidarité avec les Juifs. Mais j’ai également critiqué les fonctionnaires des groupements qui relativisent ce terrorisme de la pire des manières et renvoient uniquement à la politique de colonisation israélite. Cela a rencontré beaucoup d’échos, même positifs, par exemple de la part de quelques jeunes musulmans. Parce qu’ils ne l’oseraient pas publiquement. Mais il y a eu également beaucoup de haine. Je n’avais encore jamais été offensé et menacé aussi violemment qu’après le 7 octobre.

Que disent ou écrivent ces gens ?

Ce sont souvent des choses banales. « Tu es un Juif déguisé. Tu es un cryto-Juif. » Il existe cette théorie du complot, selon laquelle les Juifs se sont convertis uniquement en apparence à l’islam dans l’Empire ottoman, pour miner ensuite la société. C’est la raison pour laquelle l’Empire aurait éclaté. À cause des « crypto-Juifs. Mais j’ai dénoncé quelque chose chaque semaine, c’était nouveau. L’un d’eux m’a écrit : « Je brûlerai toute ta famille. On a mis en garde contre moi dans la communauté musulmane. Je serais un agent allemand, disait-on, qui voulait éloigner la jeunesse musulmane du véritable islam.

Au cours des années écoulées, vous vous êtes fait un nom comme critique du Président turc, Erdogan. Cela a-t-il également eu des conséquences ?

Je ne me suis plus rendu en Turquie depuis 2017. Il y avait des signes tout à fait clairs. En Allemagne, des gens scannent la communauté, ils regardent qui dit publiquement quelque chose sur la Turquie. Sur l’AKP, Erdogan, la situation en matière de droits de l’homme. Ou sur les structures ici, lesquelles sont contrôlées par l’État turc. Tout cela est envoyé à Ankara. Je sais de source sûre qu’il existe des rapports sur moi. Mais un politicien de l’AKP m’a également contacté directement. Il a des contacts dans la criminalité organisée, avec les Loups Gris d’extrême droite. Il est connu pour intimider les journalistes. Il le voulait également chez moi. Il m’a donc appelé et dit, ici c’est Metin Külünk. Il aurait entendu que je critiquais Erdogan. Ils sauraient pour qui je travaille comme « Turc d’apparat ». Il pensait aux Juifs dans les médias. Je lui ai répondu qu’il pouvait parler ainsi aux gens en Turquie, mais que ça ne marchait pas en Allemagne. Et que son Führer devait en prendre son parti.

[…]

Traduction pour Résistance républicaine par Jean Schoving

https://www.berliner-zeitung.de/politik-gesellschaft/islamismus-experte-guevercin-linke-aktivisten-antimuslimischen-rassismus-li.2239812

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