Sabotages des TGV : « C’est une arme efficace pour perturber l’ordre du monde »

Philosophe et chercheur sur l’histoire du sabotage, Victor Cachard loue l’« efficacité » des récents incendies contre les lignes de TGV. Il estime que la revendication publiée « permet d’engager la bataille des idées ».
Victor Cachard est philosophe, auteur de plusieurs livres sur le sabotage et son ancrage dans le milieu écologiste. Il a notamment écrit deux tomes sur l’histoire du sabotage aux éditions Libre. Ironie du sort, il s’apprêtait lui-même à prendre un train vendredi 26 juillet quand le trafic ferroviaire a été paralysé par « une attaque massive » et une série d’incendies volontaires attribués à « l’ultragauche » par le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin. Bloqué comme 800 000 autres passagers mais en phase avec le communiqué de revendication publié le lendemain, il raconte avoir tout sauf mal vécu cette interruption des flux.

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Reporterre — Les autorités ont évoqué un acte de sabotage inédit par son ampleur et ses conséquences. Vous qui êtes spécialiste du sujet, qu’est-ce qui vous a frappé ce vendredi ?
Victor Cachard — J’ai été surpris par l’emballement médiatique et par son amnésie. En réalité, il y a de nombreux précédents. Le sabotage du réseau ferroviaire a toujours été utilisé dans les luttes et les conflits sociaux. Même si à l’heure actuelle, on ne sait pas encore qui sont les auteurs de l’attaque de vendredi, on sait depuis longtemps que le sabotage est une arme efficace pour perturber l’ordre du monde, bloquer les flux et entraîner une paralysie temporaire du système.
L’année dernière, en janvier 2023, en pleine période de contestation contre la réforme des retraites, un incendie volontaire en pleine nuit avait visé un poste d’aiguillage et avait réussi à stopper l’ensemble du trafic de la gare de l’Est, à Paris, pendant deux jours. La réparation avait été plus difficile, plus lente et plus coûteuse que vendredi dernier.
Cela n’a donc rien de nouveau ?
Non, même si ces dernières années — je marquerais la bascule entre le mouvement des Gilets jaunes en 2019 et la fin du confinement — on assiste à une recrudescence des actes de sabotage. Les fibres optiques, les antennes 5G, les lignes de TGV et les grands projets industriels et écocidaires sont devenus les cibles de certains militants et activistes, déçus par d’autres modes d’action plus consensuels, et qui veulent passer à un cran supérieur pour affronter le pouvoir. 
À chaque fois, ces militants sont caricaturés, livrés à la vindicte des éditorialistes et des juges. C’est une constante dans l’histoire. Le saboteur est une figure du traître et de l’ennemi intérieur. On parle de vandales, d’incendiaires, de dévastateurs qui seraient mus par des mobiles douteux et incompréhensibles.
C’est d’ailleurs ce qu’a redit Gérald Darmanin. Il évoque des gens potentiellement manipulés, il parle de la Russie, qui serait en embuscade, et lâche le mot d’« ultragauche » sans qu’on sache à quoi il fait référence. On dit que ce sont des gens qui n’aiment pas la France et qui travailleraient en intelligence avec l’ennemi. C’est une manière de nier le fait qu’ils aient des convictions et de dépolitiser leur combat. C’est un refus de prendre au sérieux leurs revendications.
Un texte a été envoyé à plusieurs médias, dont Reporterre, pour soutenir l’acte. On ne sait pas encore si ce sont les auteurs du sabotage qui en sont à l’origine mais le texte contient de nombreuses revendications à la fois révolutionnaires et écologistes…
Oui, leur message est très clair. Ils s’opposent aux JO, ils considèrent que les JO sont un problème social, écologique et technosécuritaire. Quoi qu’on pense de ce mode d’action, on ne peut pas nier que c’est écrit de manière limpide.
Comment analysez-vous ce texte, sachant qu’il pourrait être opportuniste, revendiquant une action que les auteurs du texte n’auraient pas commise ?
On ne peut pas le savoir, pour l’instant. Ce qui m’intéresse plutôt, c’est son contenu. On y retrouve la plume de la mouvance anarchiste insurrectionnaliste. Ce sont des groupes d’individus qui privilégient les actions clandestines à toute forme de massification. Leur objectif n’est pas de rallier des gens mais d’ouvrir des brèches, de frapper des points de vulnérabilité du système, de créer une forme de désordre à partir duquel peuvent se redessiner les rapports de force et se tisser de nouvelles solidarités autonomes.
C’est un texte assez classique de ce milieu. Il me fait penser à un texte paru en 2008, Saboter le train-train quotidien. On y retrouve les mêmes références sur le quotidien morose que produit le capitalisme, l’existence marchande et le besoin de s’en échapper par l’action directe. Je pense aussi à la lettre de Boris, un militant anarchiste qui a été emprisonné en 2021 à la suite de l’incendie d’antennes relais. On retrouve dans ces textes la même opposition à la domination et au contrôle social qu’instaurent les nouvelles technologies, ou les JO d’ailleurs.
Le texte évoque pêle-mêle les destructions sociales et écologiques des entreprises françaises, le pillage de TotalEnergies en Afrique. Il critique le nucléaire et la production d’armes. Quel est le lien avec l’action qu’ils ont menée ?
C’est une critique du capitalisme de manière générale, ils font l’inventaire de ses activités mortifères. Les JO sont sponsorisés par toutes les grandes entreprises comme Airbnb, Coca-Cola, Danone, Carrefour, EDF, Vinci, etc.
Thales, qui produit des outils de surveillance et des armes, a également travaillé pour les JO. TotalEnergies a failli être un sponsor officiel mais a dû renoncer sous la pression populaire. Les JO incarnent donc ce modèle dévastateur. 
Le lien entre les Jeux olympiques et les TGV n’est-il pas plus difficile à voir  
La SNCF est un partenaire officiel des JO. De nombreux voyageurs et délégations officielles utilisent aussi les trains pour se rendre aux Jeux. Il y a plein de raisons de s’opposer aux TGV d’un point de vue anticapitaliste et écologique. Les TGV nivellent les territoires, accélèrent le temps, fonctionnent à l’énergie nucléaire, accroissent l’hypermobilité d’une minorité de riches aux dépens des territoires ruraux.
Mais, je crois honnêtement qu’ils ont choisi cette cible pour d’autres raisons. Face au dispositif sécuritaire extraordinaire qui a été mis en place par les autorités, il est quasiment impossible de s’opposer directement aux infrastructures des Jeux. Les militants d’Extinction Rebellion qui ont cherché à le faire ont été massivement réprimés. L’intérêt de s’attaquer aux lignes ferroviaires, c’est de prendre le moins de risques possible et de maximiser les dégâts. Ces infrastructures sont ultravulnérables. Il est impossible de surveiller efficacement 30 000 km de voies ferrées et de mettre des caméras partout.
Après, c’est sûr que ce qu’ils gagnent en facilité technique, ils le perdent en lisibilité auprès de l’opinion publique. Les gens ont du mal à comprendre, le lien direct n’est pas évident, d’où la nécessité de ce texte de revendication. Il explicite les raisons et permet d’engager la bataille des idées.
 
Mais, au vu des retours très critiques de la presse et des 800 000 personnes touchées, peut-on estimer que c’est efficace ?
Quoi qu’on en pense, l’opération a fonctionné, elle a provoqué des dégâts et suscité des débats. Elle a ouvert des champs qui n’étaient pas assez questionnés. Moi, je trouve insupportable cette indignation à géométrie variable. Qu’est-ce que c’est, ces quelques heures de retard face aux morts des travailleurs sur les chantiers des JO qui ont été largement invisibilisés ? Qui en parle ?
Ce n’est pas la fin du monde, un train en retard ! C’est quand même moins grave qu’une organisation olympique qui célèbre les États-nations, pollue massivement et délocalise la misère. Il y a une légitimité derrière ces sabotages et une bataille intellectuelle à mener pour les faire comprendre.
Et que répondez-vous aux vacanciers bloqués ?
J’étais moi-même bloqué à la gare Montparnasse toute la journée de vendredi. J’étais aussi dans les transports. Je ne l’ai pas mal vécu. J’avais un bon bouquin. Ces moments sont intéressants dans ce qu’ils créent. Les gens sortent enfin de leur bulle, quittent leur écran, se parlent et s’entraident.
Les encombrements matériels qui ont eu lieu sont infimes par rapport à la question politique d’intérêt général que soulèvent ces sabotages. Il n’y a eu aucun blessé, rien de grave, à un moment, il faut arrêter. Le sabotage ouvre une fenêtre entre le pacifisme et la violence via la dégradation de biens matériels.
Des fibres optiques ont aussi été incendiées dimanche 28 juillet — sans revendication publiée pour l’instant. Assiste-t-on à une campagne plus générale ?
Il y a un effet boule de neige, effectivement. On l’avait vu aussi post confinement avec les incendies d’antennes 5G. Des militants estiment que c’est le moment opportun pour passer à l’action. Les forces de l’ordre sont mobilisées ailleurs. Il y a une relâche sur certains territoires. Ces sabotages se ressemblent dans leur mode d’action et s’inscrivent en continuité. C’est une bonne manière de faire valoir un discours à la fois anti-étatique, anti-autoritaire et technocritique.
Pour vous, ces actions peuvent donc s’inscrire dans la lignée des écosabotages ?
Si effectivement les auteurs du texte sont les auteurs du sabotage, oui, tout à fait. L’écosabotage est née de la rencontre et de la connexion très forte entre la mouvance anarchiste et les milieux écologistes. Avec les actions d’Earth First, les fauchages nocturnes d’OGM, la lutte antinucléaire, etc.
Tout cela s’inscrit dans une longue tradition et filiation politique. On retrouve aussi le même ton humoristique. Le fait de signer « une délégation inattendue », il y a un côté ironique. Ça me fait penser au Giec, le « Groupe incendiaire d’engins de chantiers », sur l’A69, qui a saboté des pelleteuses.
Dans le texte de revendication du sabotage envoyé aux médias samedi, on retrouve aussi beaucoup d’arguments écologistes. En 1991 déjà, de nombreux blocages de voies et sabotages d’infrastructures ferroviaires avaient eu lieu pour s’opposer au schéma directeur de la grande vitesse ferroviaire. Les groupes écolos dénonçaient alors « le despotisme de la vitesse ».

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1 Comment

  1. Le sabotage est le fait d’anarchistes.
    Je ne vois pas en quoi ça pourrait être intéressant pour les idées, ni bénéfique pour le pays.
    Cela a amusé ce philosophe, bien ,bien.
    Mais pour un philosophe réjoui, 800 000 personnes agressées dans leur quotidien et vraiment pas réjouies.

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