Et si l’État français s’intéressait aux agriculteurs comme il s’intéresse à la langue française !
Madame, Monsieur,
L’Association FRancophonie AVenir, Afrav, vient de perdre en appel trois procès qui l’opposaient à l’État français au sujet des marques en anglais dont il est le créateur, le propriétaire et le diffuseur, les marques « Choose France », « La French Tech » et « Next 40 ».
L’Association a perdu ces trois procès en appel à la Cour administrative d’appel de Paris, parce que les juges, s’appuyant sur l’article 14 de la loi Toubon*, ont considéré que les termes anglais « CHOOSE », « FRENCH » et « NEXT » n’ayant pas d’équivalents en français dans le registre terminologique de la Commission d’enrichissement de la langue française, ne contrevenaient pas à la loi Toubon, une loi qui est pourtant censée défendre notre droit au français et nous protéger, ce faisant, de l’anglomanie ambiante.
Apparemment, les juges se sont seulement contentés de chercher parmi les 9000 termes présents dans le registre terminologique de la Commission d’enrichissement de la langue française – registre accessible via le site France terme -, sans donner droit à la traduction qui, cependant, pour les mots anglais « CHOOSE », « FRENCH » et « NEXT » est tout à fait possible.
Pourtant, l’Association avait rappelé aux juges que la mission de la Commission d’enrichissement de la langue française est, comme son nom l’indique, d’ENRICHIR la langue française en créant des mots français nouveaux pour nommer de nouvelles réalités, de nouveaux concepts, le plus souvent désignés en anglais et qui ne sont pas encore nommés en français. Cela a été le cas, notamment, pour les mots anglais nouveaux « mail » et « e-mail » qui, lorsqu’ils sont apparus en France, n’avaient pas encore de traduction en français, la Commission a proposé alors pour équivalent français à ces mots anglais le mot « courriel » (JO du 23 juin 2003).
La mission de la Commission d’enrichissement de la langue française n’est donc pas de réduire la traduction qu’aux seuls 9000 termes de son registre, mais d’enrichir, c’est-à-dire d’ajouter à la traduction, des équivalents français qui jusque-là n’existaient pas dans notre langue.
Soit, l’article 14 de la loi Toubon* est mal rédigé, mais est-ce une raison pour le rendre favorable aux anglomanes, est-ce une raison pour l’enlever du contexte et de l’esprit de la loi Toubon qui est, rappelons-le, de défendre la langue française et non de réduire la traduction aux seuls 9000 termes du registre terminologique de la Commission d’enrichissement de la langue française ?
Est-ce que Jacques Toubon, lorsqu’il a fait cette loi, a voulu cela ? – Certainement pas, pouvons-nous répondre avec certitude.
De plus, le rôle des juges n’est-il pas, selon le précepte de Jean-Étienne Portalis, le père du Code civil, d’approfondir, pour en pénétrer l’esprit, les dispositions des termes de la loi lorsque celle-ci paraît mal rédigée :
« Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure,
il faut en approfondir les dispositions pour en pénétrer l’esprit » ?
Devant ce jugement inique, l’Afrav va faire un pourvoi en cassation devant les juges du Conseil d’État en espérant, bien évidemment, que les juges suprêmes soient inspirés par les bonnes paroles de Jean-Étienne Portalis, en jugeant ces affaires selon l’esprit de la loi Toubon et non selon l’air du temps qui est, comme l’on sait, plus favorable à notre anglicisation-américanisation qu’à la préservation de notre environnement linguistique francophone.
L’Association envisage également de déposer une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité, car réduire la traduction en français des mots étrangers aux seuls 9000 termes de la Commission d’enrichissement de la langue française, lui paraît inconstitutionnel, la langue française, langue de la République, selon la Constitution, ne pouvant se résumer qu’aux seuls termes de la Commission.
Plus que jamais, le combat continue pour la langue française, pour la Francophonie, pour le respect des langues en général. Plus que jamais, la pensée du philosophe, universitaire et patriote québécois Pierre Bourgault est d’actualité : « lorsque nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule ».
Merci de votre attention et cordiales salutations.
Régis Ravat, Président de l’Association Francophonie-Avenir (A.FR.AV)
* Article 14 de la loi Toubon : I. L’emploi d’une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d’une expression ou d’un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu’il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l’enrichissement de la langue française. […].
Rappel : Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, ratifié par la France le 29 janvier 1981(décret n°81-76).
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La linguiste Henriette Walter note dans son passionnant ouvrage qu’historiquement, les deux-tiers des mots de l’anglais viennent du français, Guillaume le Conquérant oblige. L’emprunt gigantesque s’est fait dans l’autre sens à l’origine.
https://www.babelio.com/livres/Walter-Honni-soit-qui-mal-y-pense/763893
Aujourd’hui, ce qu’on appelle anglais, surtout qui fait honte en France, n’est plus qu’un idiome simpliste d’aéroport américanisé qui fait honte aux Britanniques amoureux de leur propre langue.
Pour vous en convaincre, écoutez donc cet extrait du film biographique « Tolkien ». La langue y est aussi riche que notre français d’antan. Ca ravit et donne envie de pleurer.
https://www.youtube.com/watch?v=8mAGzkbip_U
Il faut féliciter l’AFRAV pour sa pugnacité. Malheureusement la Loi Toubon a en quelque sorte des trous dans la raquette. S’il est bien stipulé que tout service public d’une administration française doit utiliser exclusivement la langue française cette disposition est mise à mal par le fait qu’une administration ou un agence gouvernementale qui utilise dans le cadre de ses activités une dénomination en anglais ne peut être attaquée pour ce fait si cette dénomination n’a pas fait l’objet d’une traduction préalable par une commission de terminologie. Or les commissions de technologie statuent uniquement sur les nouveaux mots étrangers essentiellement anglo-américains introduits récemment dans notre langue et non l’ensemble du vocabulaire anglais tel qu’il figure dans les dictionnaires.
Donc un mot anglais qui existe depuis toujours comme le vocable choose (choisir en français) peut être utilisé par une administration française sans recours possible. Il serait donc urgent de remanier la Loi Toubon afin de la rendre plus opérante.