Toute vérité n’est pas bonne à dire, vraiment ?

 

Imaginons la situation suivante, à laquelle nous avons tous été confrontés un jour ou un autre, ou que nous avons eu l’occasion d’observer de l’extérieur, au sein d’une entreprise, ou d’une administration : une équipe de quelques employés, dirigée par un chef parfaitement incompétent, ayant probablement accédé à cette position en vertu du Principe de Peter.

Tous ses subordonnés savent qu’il est incompétent, et ils en discutent d’ailleurs secrètement entre eux bien souvent.

Le supérieur hiérarchique en question, lui-même, a parfaitement conscience au fond de lui de ses insuffisances, et il sait très bien ce que les autres pensent de lui.

Pire encore, bien souvent, les subordonnés savent que leur supérieur sait ce qu’ils pensent de lui.

Malgré tout, chacun continue à vaquer à ses occupations, comme si de rien était, et la situation peut parfaitement potentiellement perdurer ainsi pendant des années.

Un matin, semblable à tous les autres, pendant une réunion de service, un des subordonnés décide de se lever, sans que personne ne comprenne quelle mouche l’a piqué.

Il prend la parole, et déclare haut et fort à la face de son supérieur hiérarchique la phrase suivante : « nous pensons tous unanimement que vous êtes un incompétent ». Puis il se rassied calmement sur sa chaise.

Nous serons tous d’accord pour affirmer que la situation au sein de cette équipe, jadis apaisée, ne sera plus jamais la même.

Il est fort probable que le chef en question va disjoncter, et que l’employé sera licencié, ou recevra un blâme.

Au sein des employés, des clans se formeront, entre ceux qui considèrent qu’il était salutaire de crever l’abcès, et ceux qui pensent que cela était contre-productif.

Quoiqu’il en soit, il est à peu près certain que ce service ne pourra pas continuer à fonctionner sous sa forme originelle.

Pourtant, à bien y penser, lors de son intervention, l’employé n’a apporté strictement aucune information nouvelle aux différents protagonistes.

La question que nous pouvons légitimement nous poser est la suivante : comment une non information peut-elle engendrer une catastrophe?

En termes de logique, nous dirons que l’incompétence du chef est devenue une Common Knowledge (CK) au sein de cette micro communauté, que l’on traduit en Français plus ou moins correctement par les termes de notoriété publique ou de connaissance commune.

À bien y regarder, l’action de l’employé en question a eu pour effet que maintenant, le chef sait qu’ils savent qu’il sait qu’ils savent qu’il sait qu’ils savent… – et ce à l’infini – qu’il est incompétent.

C’est précisément cette mise en abyme de l’information qui a déclenché le cataclysme.

Cette notion de CK ne se résume pas à un simple pinaillage de logicien désœuvré.

Bien au contraire, l’usage malheureux ou opportun du CK, dans la vie quotidienne, la politique ou même la diplomatie, est bien souvent à l’origine de nombreux conflits, ou de déblocage de situations apparemment inextricables.

Supposons par exemple que vous croisiez dans la rue un couple de Chances pour la France, la femme déguisée en Belphégor, et le mari en imam salafiste.

Il est bien évident que ces gens n’ont aucune envie de s’intégrer à la société française, et ils nous le signifient très directement avec leur accoutrement.

Il est donc extrêmement clair pour tout le monde, même pour eux, qu’ils sont une insulte à la République française laïque.

Ils ont parfaitement conscience de ce que nous en pensons, nous savons qu’ils le savent, et ils savent que nous savons qu’ils le savent.

Cependant, si vous décidez de le leur signifier directement en public, même avec tous les égards dû à leur rang, soit vous vous ferez suriner, soit vous serez condamné pour incitation à la haine.

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De même, s’il vous passait par la tête d’exposer publiquement qu’une fonctionnaire portant la parole de l’État est incapable d’aligner trois phrases correctes à la suite, vous n’apporterez aucune information supplémentaire par rapport à ce que tout le monde a été en mesure de constater par lui-même, y compris l’intéressée.

Cependant, vous terminerez devant la 17e chambre correctionnelle pour injures publiques.

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De même, il est de notoriété publique que l’Allemagne, qui contrôle les institutions européennes, n’a de cesse que d’œuvrer à l’encontre des intérêts vitaux français.

Les récentes négociations sur le marché européen de l’électricité en sont une illustration de plus.

Bien évidemment, les Allemands savent ce qu’ils font, et pour quelle raison ils le font.

Les dirigeants français, ainsi que l’ensemble des autres pays européens, savent également à quoi s’en tenir.

Malgré cette situation ubuesque, on continue à parler de couple franco-allemand, de partenaires européens, et tout le monde agit comme si de rien était.

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Si un jour, nous avons la chance d’élire à la tête de notre pays un dirigeant digne de ce nom, qui défend nos intérêts, il ne serait pas absurde que ce dernier se rende au Conseil européen afin de transformer cette situation en CK, en affirmant publiquement que la France ne tolèrera plus que l’Allemagne utilise l’Union européenne dans le but de nuire à ses intérêts.

La brutalité a parfois son utilité, lorsqu’elle est utilisée à bon escient.

Sans apporter aucune information supplémentaire, il est à peu près certain que cette simple déclaration aurait bien plus d’effet que des décennies de négociations vouées à un échec certain.

Ce que les logiciens ont formalisé sous forme du CK, les psychologues et les psychiatres appellent cela des « non-dits ».

La gestion astucieuse des « non-dits » est l’apanage des grands diplomates, et fait toute la différence entre une intelligence subtile et un pauvre abruti.

En effet, il ne faut pas perdre de vue que le CK n’est pas réversible ; une fois le « non-dit » métamorphosé en « dit », le processus est définitif.

Les médias de masse font petit à petit basculer la société vers un CK généralisé, une sorte de dégradation définitive de l’information, s’apparentant à de l’entropie. On valorise le « sans filtre » selon l’expression consacrée.

Cet avènement du CK généralisé est probablement une des raisons pour laquelle les Intelligences Artificielles sont en mesure de supplanter des humains à des postes que l’on n’aurait jamais soupçonnés.

À ma connaissance, la seule fonction qu’une IA n’est pas encore en mesure d’assurer, consiste en une gestion de l’information qui tienne compte de la susceptibilité des humains.

Pierre Augustin Caron de Beaumarchais ne connaissait pas le CK, mais il en a eu l’intuition, dans cette célèbre tirade tirée du Mariage de Figaro : « Toute vérité n’est pas bonne à dire ; toute vérité n’est pas bonne à croire. »

 

Alain Falento

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Des personnages falots éclairés d’incompétences par le principe de Peter, le premier de cordée est celui qui nous sert de président. En ce moment, n’en doutons pas, il boit du petit lait ayant les feux de la rampe – expression employée à dessein – projetés sur lui. Sauf erreur, il utilise à petites doses ses « en même temps ».

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