Ronsard : « quand vous serez bien vieille… »

Pour ce coup de coeur dominical, un poème que tous connaissent. Non, je devrais dire « que tous connaissaient ».
Qui n’a pas appris ce sonnet à l’école, figure imposée de la « récitation », de l’étude, de la formation des esprits bien faits et bien pleins ? La jeune génération… Je pourrais vous donner une date précise : les jeunes ont cessé d’apprendre nos textes de référence l’année où sous la pression de profs démagos et gauchos, on a voulu « simplifier, rénover », dépoussiérer, et, surtout, faire baisser le niveau, histoire de mettre les nôtres au niveau, si bas, des autres. En 2008, l’express titrait Pour en finir avec le «Lagardémichard» et il y avait beau temps, à l’époque, que, dans les différents établissements où j’avais enseigné, la Bible de la littérature à l’usage des apprenants avait disparu, chassé car trop « ringard » mais surtout, en réalité trop élitiste ». Que voulez-vous, les nouvelles populations ne pouvaient pas lire Ronsard, Pascal, La Bruyère… il fallait d’urgence supprimer tout cela et encourager les profs à faire lire des « livres de jeunesse » où l’on parle « djeune », traduisez verlan, argot des banlieues et compagnie. Dès 1992, il avait disparu des prescriptions officielles… 1992, l’année où un certain Jack Lang est arrivé rue de Grenelle. Il n’y a pas de hasard.

Quant au poème ci-dessous, il est tout simplement beau, sonorités, rimes, images, parfait par la forme et le fond et il traite d’un sujet universel, la fuite du temps.  Lié à l’amour, c’est une belle invitation à profiter de la vie, avant son terme, afin de mourir sans regrets. 

C’est le vieux thème, thème vieux comme le monde, comme la civilisation, du « Carpe diem » d’Horace, poète romain. Mot d’ordre épicurien dont nous avons déjà parlé avec Lucrèce. « Cueille le jour sans te soucier du lendemain« ... Profite du jour qui passe sans penser à ta mort, sans t’en soucier.

Doctrine battue en brèche bien, sûr, par l’Eglise chrétienne qui, au contraire, agitera sans cesse la peur de l’après-mort, de l’enfer... pour empêcher les hommes de profiter de leur vie terrestre et les contraindre à passer entre ses fourches caudines. Qu’on pense, entre autres, à l’enterrement de nuit de Molière parce que il avait osé faire du théâtre, activité impie selon l’Eglise de l’époque… Les comédiens, à l’époque, étaient excommuniés, privés de cérémonie religieuse, jetés dans la fosse commune… Molière a été un peu plus gâté mais  bien peu. Il a fallu la révolution pour qu’on exhume ses os et qu’on lui rende l’hommage qu’il mérite au cimetière, même si on n’est pas sûrs que ce soient ses restes qui sont dans la tombe….

Bien sûr, on sent que Ronsard a été ignoré (ridiculisé) par Hélène et qu’il se venge. L’image de la future « vieille accroupie » est dantesque et plus qu’offensante... Des histoires d’amour, de dédain… La vie, quoi, et nous nous avons le plaisir de savourer la beauté de mots.

Bien sûr encore ,  le pauvre Ronsard a été moqué, accusé de vouloir acheter les charmes de la belle Hélène en lui vendant l’éternité, comme l’a été Corneille qui avait essayé lui aussi de vendre la postérité à Marquise, son actrice principale, dans les « stances à Marquise ».

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux

 

Corneille a été lui aussi moqué, notamment par Tristan Bernard

Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J’ai vingt‑six ans mon vieux Corneille
Et je t’emmerde en attendant.

 

Mais peu importe, ce qui compte c’est le thème du temps qui fuit inexorablement et donc de la mort qui se rapproche et qui fait déjà regretter de ne pas avoir profité de la vie est éternel. Dans la civilisation occidentale bien sûr.Mais c’est aussi l’amour, la poésie, la création, la gouaille, la plaisanterie, l’esprit ! Oui tout cela c’est l’esprit français, la grandeur française  !

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578

En complément, ce beau diaporama envoyé par Bruno, l’un de nos lecteurs, en hommage au Prince des poètes. Essayez de le télécharger pour le visionner, je n’ai pas les moyens techniques de le mettre en visionnage direct sur notre site.

N’oubliez pas d’activer le son.

Ronsard_et_la_rose

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27 Comments

  1. comme c’était beau : tellement beau, tellement vrai, qu’il n’y a pas de nom pour décrire l’émotion intense que réveille en nous les poèmes de ronsard et celui ci en particulier – merci pour ce rappel

  2. Les poèmes de Ronsard que vous citez sont bien tournés mais, entre nous, cet auteur fut fort limité au genre semi-érotique, et le gros de son oeuvre, comme celle de tous les obsédés, respire un ennui immense. La plupart des poèmes composant le gros de ses recueils ne sont pas si bien ciselés et sont plutôt du genre à se dire qu’une fois qu’on en a vu deux ou trois on les a tous vus. En plus c’est faux : plus d’une vieille femme reste gracieuse même au travers des blessures de l’âge.

    • Et alors ? On s’en fout. Même si ce que vous dites était vrai et je ne le crois pas, il a ciselé quelques joyaux qui sont passés à la postérité à raison et qui font partie et de nos références et de notre civilisation et de la beauté créée par les Hommes. Quant à savoir si de vieilles femmes peuvent être encore belles, hors-sujet total. Ce n’est pas du tout le problème ni le sujet de Ronsard.

      • Il y a des gens, comme ça, dés que tu leur parle d’un truc, ils faut qu’ils transforment l’or en plomb. Un exemple. J’ai réussi à obtenir de l’association qui gère l’immeuble dans lequel j’habite la pose d’un étendoir pour faire sécher le linge. J’en parle à une connaissance que j’aime bien tout de même par ailleurs… La première chose qu’il me sort. T’as pas peur qu’on te vole le linge ? Bref !

      • @Christine. Je crois que beaucoup de choses échappent à l’ami Francis, car trop subtiles, d’où son ennui et ses critiques. Il faut du lourd à quelqu’un qui utilise
        des termes comme « le gros de son œuvre » et « le gros de ses recueils ». Ses hors-sujets à propos des vieilles femmes et des « obsédés » – les obsédés étant donc selon lui ceux qui dédient des poèmes et osent parler d’amour sans la moindre grossiéreté aux jeunes filles ! ont un mauvais parfum de néo-féminisme misandre.

        • Beau commentaire, Carole, en effet, qui met fin je pense aux prétentions de FrancisK

      • Mon poème de Ronsard préféré :
        Sur la mort de Marie
        Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
        En sa belle jeunesse, en sa première fleur
        Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
        Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :

        La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
        Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
        Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
        Languissante elle meurt feuille à feuille déclose :

        Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
        Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
        La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.

        Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
        Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
        Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

        Pierre de Ronsard

  3. Un jour vous serez vieille, alors en attendant…
    Pierre de RONSARD
    1524 – 1585
    Mignonne, allons voir si la rose
    A Cassandre

    Mignonne, allons voir si la rose
    Qui ce matin avoit desclose
    Sa robe de pourpre au Soleil,
    A point perdu ceste vesprée
    Les plis de sa robe pourprée,
    Et son teint au vostre pareil.

    Las ! voyez comme en peu d’espace,
    Mignonne, elle a dessus la place
    Las ! las ses beautez laissé cheoir !
    Ô vrayment marastre Nature,
    Puis qu’une telle fleur ne dure
    Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez, mignonne,
    Tandis que vostre âge fleuronne
    En sa plus verte nouveauté,
    Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
    Comme à ceste fleur la vieillesse
    Fera ternir vostre beauté.

  4. C’est autre chose que la poésie de Sibeth Ndiaye lors du décès de Simone VEIL. Souvenez vous de cette poésie incomparable :  » Yes, la meuf est dead !  » La classe quoi… La France s’enrichit de son immigration.

    • A Dorylée : Une grande sensible, cette Sibeth ! Sa façon d’annoncer le décès de Simone Veil fut sidérante d’irrespect, de vulgarité, de cynisme, de bêtise arrogante à un point jamais encore atteint dans un gouvernement. On se demande comment cette pauvre fille a pu être choisie comme porte-parole. A moins qu’elle n’ait effectivement porté la parole de Macron et adopté son style et sa pensée en annonçant de cette façon odieuse la mort de l’ancienne ministre.

  5. Quelle beauté. Merci à nos professeurs de nous avoir fait aimer la poésie, la littérature, la philo et le français. Et merci pour ce moment de nostalgie.
    ROSA

    • Oui Rosa, un immense merci aux anciens professeurs qui nous ont donné cette culture qui disparaît hélas !

  6. Un coup de coeur que je partage …
    Il n’est plus question de politique mais de culture, de poésie, de philosophie. On découvre ici une autre facette, étincelante, de Christine. Ils sont comme ça, les « fachos », les « beaufs » (je plaisante) : ils ne se dévoilent pas facilement.
    Bref, un très bel article.

    • Merci Carole pour ces mots qui sortent du coeur et me touchent. Bravo pour l’humour !

  7. Suite du commentaire :
    Après il y a trop de retard du fait de mauvaises habitudes liées à de découragement, mais rien à voir avec l’idéologie des gauchiasses. Il est dommage que je n’ai pas pu aider davantage de ces mômes dont les parents avaient eux-mêmes des difficultés dont on connaît la nature. Certains élèves, notamment de jeunes collégiens, et même certains parents de la primaire m’ont remerciée de m’être penchée sur les difficultés de leurs rejetons. Sans en retirer gloire, j’étais heureuse de m’être montrée utile aussi peu que ce soit.

  8. La gauchiasse, sous prétexte d’égalitisme des chances, prend en réalité une certaine communauté d’immigrés pour des sous-merdes incapables de suivre une scolarité sinon élitiste au moins honorable comme la plupart des élèves, de la veine un peu, beaucoup darmanin qui dénonçait le bas niveau intellectuel des policiers. Pour avoir exercé dans le milieu scolaire le métier d’AESH et aidé occasionnellement quelques élèves de la diversité en difficulté, pendant que l’élève dont j’avais la charge, pendant devait travailler en autonomie, nombre d’entre eux ont prouvé qu’ils pouvaient y arriver, car motivés, et ce indifféremment du CP à la 5ème.

  9. Merci pour ce cadeau du dimanche. Vouloir faire disparaitre de notre culture la poésie, une hérésie, pire un crime. Voici quelques vers, écrits sur le ton humoristique, histoire de rire un peu dans un monde qui ne prête plus à rire. Pardon à Ronsard et ses illustres confrères.

    POUR HÉLÈNE

    Quand tu seras fanée
    Comme vieille laitue,
    Tu diras
    Mais ce poids des années
    Pourquoi me l’as-tu tu?

    Ta peau si veloutée
    Et tes dents ivoirines,
    Tu verras
    Tout te sera ôté,
    Tout tombera en ruine.

    Ta poitrine fluente
    Et le dos plein d’arthrose,
    Tu seras
    L’agonie sera lente,
    Ce ne sera pas rose.

    Alors tu te diras,
    Argo avait raison.

    • Je retiens ce réjouissant « pourquoi me l’as-tu tu » pour un usage ultérieur.
      A part ça, je me demande si un esprit néo-féministe rousseauiste n’a pas dans vos vers – et dans ceux de Ronsard – matière à se victimiser ?

    • Elle t’a à la bonne Carole… Depuis que j’ai osé bafouer deparnomdedieu elle me calcule plus… Veinard va !

    • Dans le genre pastiche, il y avait dans les années 60 et 70 à Paris une sorte de chansonnier-philosophe truculent (voire franchement paillard) nommé René Cousinier qui en avait fait une version qui commençait par « quand tu seras bien vieille, et qu’avec la chandelle » …

  10. Le temps aux plus belles choses
    Se plait à faire un affront
    Il saura faner vos roses
    Comme il a ridé mon front.
    J’ai appris ces vers il y a bien longtemps en écoutant le grand Georges qui les a mis en musique avec d’autres bien sûr (Victor Hugo).
    Bonne journée.

  11. Il n’y a pas que l’Education nationale qui est responsable. La ville de Surgères par exemple n’a jamais mis en valeur Hélène. On aurait tout à fait pu imaginer un événement annuel en l’honneur de la poésie, pour cette ville proche de la Rochelle dans une région touristique… Au lieu de cela, un festival de musique avec Yannick Noah. La télé a remplacé le livre et les bobos mondialisés les poètes français. https://www.sudouest.fr/culture/festival/yannick-noah-zoufris-maracas-et-erik-truffaz-joueront-au-surgeres-brass-festival-15215768.php

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