« Bonjour Fatima. Nous vous rappelons que vous approchez du terme de votre contrat social, qui fixe votre limite d’autorisation de vie à l’âge de quatre-vingts ans. Il vous reste ainsi un mois, délai de rigueur, pour mettre en ordre vos affaires et dire adieu à vos amis et famille avant votre départ.
Vous devrez vous présenter impérativement à votre Centre de Long Sommeil 1 le 10/05/2039 à 10 heures précises. À cette date, votre connexion Internet sera définitivement désactivée, vos lignes téléphoniques fixe et mobile annulées, vos comptes bancaires clôturés et vos papiers d’identité invalidés. Vos biens immobiliers seront transférés à l’État en vue d’attribution aux migrants demandeurs d’asile ou autres nécessiteux.
La nation vous remercie pour votre contribution à la maintenance de notre communauté et pour votre participation à la vie heureuse et sans soucis matériels de nos concitoyens. »
Fatima était atterrée par cet email officiel. Elle s’y attendait, bien sûr, mais elle n’était pas prête. Elle savait qu’elle n’y échapperait pas, elle non plus, bien qu’elle soit autonome et en pleine santé. 2
Amal, son époux, avait en effet tenté de fuir à vélo trois ans auparavant, mais les caméras miniatures de surveillance l’avaient immédiatement repéré. Il avait pourtant pris soin de mettre un masque pour tromper la reconnaissance faciale, mais il ignorait que d’autres signes le trahiraient. Il avait été abattu en pleine rue par un drone.
Fatima songeait qu’il aurait peut-être pu échapper à la vigilance des caméras en voiture, si celles-ci n’avaient été interdites quelques années auparavant sous prétexte écologique. Les rues, les routes, les autoroutes désertes, les parkings également, les aéroports aussi depuis l’interdiction des voyages, faisaient penser à la Corée du Nord.
Il lui restait donc tout juste un mois avant son euthanasie. Une peine de mort en douceur mais non méritée, pensait-elle, révoltée. 3
Ses enfants, Sofiane et Naïma, avaient dépassé la cinquantaine ; tous deux mariés, ils avaient une situation stable et prospère. Ses petits enfants étaient tout juste à l’âge de développer une activité professionnelle, qui nécessitait des investissements. Fatima savait que son héritage les y aiderait beaucoup ; la pression sociale la culpabilisait pour cette immobilisation de capital dont « elle ne faisait rien à son âge » et son entourage le lui avait fait sentir par quelques discrètes allusions.
Le papier monnaie ayant disparu au profit du numérique, c’est l’État qui répartirait ce qui resterait de son solde bancaire, s’il restait quelque chose après déduction des prélèvements fiscaux et des travaux éventuels de réfection et de mise aux normes de sa maison.
Cette maison et son mobilier, ses enfants devraient les effacer de leur mémoire ; c’était la loi, depuis que l’héritage de l’immobilier avait été transféré à l’État par la gauche islamique au pouvoir en France.
Fatima déroula son petit tapis de prière. Il ne lui restait guère d’autre choix. Elle était heureuse d’avoir au moins cet ultime espoir de refuge éternel et plaignait ces quelques rares Français d’origine qui ne s’étaient pas encore convertis.
Puis elle récita la Fatiha.
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1 – Centre de fin de vie regroupant endormissement, euthanasie et crématorium. La saturation des cimetières avait conduit les musulmans à accepter la crémation, pourtant interdite en islam, sous réserve que les cendres des défunts soient transportées à La Mecque et dispersées sur place. En fait, une rumeur courait qu’après l’autopsie certains morceaux des cadavres alimentaient les grands carnivores des zoos, ce qui contribuait aux économies d’énergie, le gaz des fours crématoires ayant atteint des coûts prohibitifs.
2 – Les vieillards coûtaient trop cher. L’âge limite de vie avait été instauré pour désengorger les hôpitaux et cabinets médicaux, où les personnes âgées constituaient la majorité des patients, et pour fermer les maisons de retraite, Ehpad et autres mouroirs, dont la gestion était devenue inhumaine.
3 – Contrairement à celle rétablie envers les racailles, dealers et autres délinquants, en raison de la surpopulation carcérale et de l’insécurité générale, par guillotine, décrétée halal.
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Avec la numérisation au quotidien et dans tous les domaines, c’est évidemment ce qui risque d’advenir de nos civilisations : des états autoritaires régissant tout de nos vies (toute similitude avec une religion existante ne serait que pure coïncidence). Au plus les technologies et les fausses libertés démocratiques usant de connexions en réseau apparaissent, au plus les gvts seront tentés de régir nos vies. Nous devons réagir vivement pour que comme c’est déjà le cas, une poignée de décideurs ne puissent plus prendre en main nos destinées et celles de nos proches.
@ Jean : tout à fait d’accord, mais comment réagir ? Léon est déjà à la recherche d’un sniper, mais n’en a pas trouvé…
C’est très réaliste même si personne ne connaît l’avenir, parfois on peut s’en approcher beaucoup comme le film Métropolis des années 20 qui imaginait le 21ème siècle ?
Horrible…
@ Julie : « Horrible », je sais, mais nos dieux sont cruels.
Excellent. Bravo !
@ Paco : merci Paco, mais je n’ai pas réussi à être aussi concis que toi… (à défaut d’être Sire qu’on scie)
Très bien écrit. On dirait du Orwell.
@ Lagardère : Merci ! « bien écrit », c’est facile, il suffit de se relire, après une nuit de sommeil… Mais qui a le temps de se relire aujourd’hui ?
Fatima s’appelait Catherine et Amal s’appelait Alain jusqu’en 2028, date à laquelle ils avaient jugé plus prudent de solliciter un changement d’identité…
👍
Bravo, bravissimo ! Puis-je me permettre de te piquer l’idée pour l’insérer dans une prochaine version ? J’édite quelques recueils de mes nouvelles.
L’âge limite 80 ans, mais déjà le dictateur ali ibn macrim venait de présenter une nouvelle nouvelle loi par l’intermédiaire d’un 49/3 pour bien sur le bien de la population, sur l’age du départ pour le grand sommeil de l’age de 80 ans à 75 ans. Et cette nouvelle réforme serait applicable le plus tôt possible à partir du 01/01/2040. Dormez bien brave gens l’état pense à vous et lui seul sait ce qui est bien pour vous.
@ Christian : j’y avais pensé mais, ayant moi-même soixante-dix-huit ans, j’ai eu peur qu’on vienne me chercher !