Fraternité

Je tenais à rendre hommage à nos anciens combattants, dont un  arrière-grand-père paternel tué d’une balle en plein front à Verdun. Ils ne sont plus, mais leur souvenir demeure. Je ne les oublie pas, ainsi que les morts de toutes les guerres. Qu’ils reposent en paix. Les guerres, qui ont tant fait pleurer les mères, les épouses, les guerres qui ont  détruit tant de familles.
 CONTE DE NOËL :   FRATERNITÉ.
  Un vingt-quatre décembre, quelque part sur le front, dans une tranchée française, non loin des lignes allemandes. Il fait froid, la neige est tombée. La nuit est là.  Dans deux heures, il sera minuit.  Les hommes souffrent. Ils se relaient tour à tour pour aller se réchauffer dans la casemate, boire un peu de café, fumer une cigarette pour tenter de se réchauffer.  L’adjudant Morvache arrive soudain, un papier à la main. « Il me faut trois hommes pour une patrouille, beugle-t-il, le capitaine veut savoir ce que maquillent  les Boches. Sergent Lemonnier, choisissez vos hommes. »
  Lemonnier, un vieux de la vieille, hésite et préfère faire appel à des volontaires. La troupe renâcle. On sait ce que ça veut dire, ces patrouilles, une belle occasion  pour se faire trouer la peau. Un dénommé Chandelle rouspète : « Il a qu’a y aller la faire lui-même,  sa patrouille, le pitaine. Il a pas eu sa ration de morts? » L’adjudant s’impatiente. Finalement Lemonnier désigne deux hommes, Trapon et Chandelle. Les deux volontaires désignés d’office s’équipent. Une pince pour couper les barbelés au cas où ils viendraient s’empêtrer dans ces maudits fils de fer, des munitions pour alimenter le fusil Lebel, quelques grenades.
   Les trois hommes enjambent le parapet et s’aplatissent au sol pour progresser par bonds. « Qu’est-ce qu’il est con, ce pitaine, comment peut-on voir quelque chose dans cette purée de pois?», grommelle Chandelle. « Ferme-la,  rétorque Lemonnier, tu vas nous faire repérer.»  Les poilus avancent , la peur au ventre. Soudain, un bruit de ferraille. Ces maudits boches ont placé des boîtes de conserve sur un fil de fer tendu entre deux piquets. Le front se réveille, des coups de feu éclatent. Les trois hommes font demi-tour et repartent en direction de leurs lignes. Arrivés dans la tranchée, un homme manque à l’appel : Chandelle. L’adjudant Morvache se précipite : « Alors, qu’est-ce que les Boches mijotent? », demande-t-il.
   Lemonnier s’emporte : « Qu’est-ce qu’ils mijotent les Boches? Vous ne le voyez pas, ils font la guerre! Chandelle y a laissé sa peau!  Allez voir vous-même!» Le gradé n’insiste  pas  et part rendre compte. Les hommes présents dans le boyau s’emportent.  Trapon, le deuxième patrouilleur, crache par terre : « Ils n’en ont pas marre de leurs patrouilles, ça ne sert à rien, qu’à faire tuer la troupe. » Soudain, on entend une voix là-bas dans le noir. Des cris de détresse : c’est Chandelle qui appelle à l’aide. Blessé, mais pas mort.  Des camarades se proposent pour aller le chercher, mais en même temps la peur des mitrailleuses allemandes les retient quelque peu.
   Une voix leur parvient des tranchées ennemies. L’homme parle un excellent français avec un fort accent germanique  : « Soldats français, vous pouvez venir récupérer votre ami, nous ne tirerons pas, d’ailleurs, il est minuit, c’est Noël.»
Le sergent consulte sa montre. Il est bien minuit.  D’en face leur parvient un chant : c’est Stille Nacht, repris par des dizaines de voix. Lemonnier n’hésite pas, il sort avec cinq poilus et un brancard. Ils retrouvent  Chandelle. Apparemment il a été touché à un bras et à une cuisse. Les blessures ne semblent pas trop graves. Trapon, qui est venu, le rassure : « Tu tiens le bon filon, mon gars, de  fines blessures, tu vas être dorloté à l’arrière. Pour toi, la guerre est finie.»
   Des soldats ennemis sont sortis des tranchées, sans armes, et viennent à la rencontre des Français. Un gradé s’avance. «  J’espère que ce ne sera pas trop grave pour votre camarade» , dit-il. Il tend un carton à Lemonnier. « Un petit cadeau pour Noël, des cigares, des pains d’épices et du schnaps.»  Le sergent français remercie et vide sa musette, ainsi que ses hommes. Des boîtes de singe,  des cigarettes changent de main. Puis chacun regagne sa tranchée.  Chandelle est évacué vers l’arrière. Lemonnier distribue les denrées offertes par l’ennemi. Les soldats apprécient l’instant.
   — Dis donc, dit l’un d’eux, ils se dorlotent, les Fritz, regarde-moi ça. Fameux, leur schnaps, meilleur que notre tord- boyaux. Et puis des cigares.
   — Nous,  dit Trapon, on a pu leur donner que du singe et des cigarettes. Sont pas chiens, les Teutons. Et puis, sont chouettes de nous avoir permis de récupérer ce pauvre Chandelle.
   — Ne faites pas trop de bruit, prévient Lemonnier, si Morvache se pointe et voit ça, on est bons pour le conseil de guerre.
   Un homme arrive tout essoufflé.
   — Hé ben, vous  vous embêtez pas, les gars. En plus, de la marchandise boche.
    — Ne dis rien, sinon on est mûrs pour le falot et le peloton. Si Morvache et le pitaine apprennent ça.
    —  Je venais justement vous prévenir. Une marmite  est tombée dans la casemate du pitaine au moment où Morvache faisait son rapport. Tués tous les deux sur le coup.
    — Eh ben, il y a une justice, conclut Trapon. Z’en ont fait tuer du poilu, ces deux-là.
   Les soldats s’installent pour la nuit. Une étoile scintille dans le ciel. Un instant  de paix et de fraternité dans un conflit qui devait faire des millions de victimes.
                                                          FIN
Note de C.Tasin.
Merci à Argo qui a fait revivre à sa façon des moments historiques.

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6 Commentaires

  1. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la saloperie de guerre qu’ils nous concoctent, ne parvienne pas jusqu’à nous.
    Il se peut que nous vivions notre dernier Noel dans la normalité.
    Qui sait ce que l’avenir nous réserve, avec les timbrés qui dirigent le monde.

  2. Je me permets de vous conseiller l’hallucinant combat de tranchées du film « Kingsmen ». Terrifiant. Ames sensibles, franchement, s’abstenir. Surtout quand on nait que de telles scènes – à la capitaine Conan – ont eu lieu. Les flaques qui nous dirigent feraient des cauchemars rien que d’avoir vu le film.
    https://www.youtube.com/watch?v=TlRCVQl3Ins

  3. La fraternité entre soldats Allemands et Alliés pendant la Grande Guerre et notamment lors du Noël de 1914 où la paix et la réconciliation est de mise mais c’était de courte durée . Malheureusement on n’a plus nos vétérans de la Grande Guerre de 14 18 mais on a nos vétérans de la Deuxième Guerre Mondiale , D’Indochine et D’Algérie mais la fraternité ce n’est pas un vain mot !

  4. Une petite étincelle d’espérance dans l’humanité qui fait du bien en ce temps de Noël.

  5. Les guerres ce sont des gens qui s’entretuent ou que ‘on fait s’entretuer mais qui ne se connaissent pas pour des gens qui se connaissent très bien mais eux ne s’entretuent pas ! ( cette vérité n »est pas de moi mais je la trouve très juste )

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