Rééducation nationale

Un portrait piquant et truculent de l’Éducation nationale, dans ses aspects les plus ridicules. Une satire amusante et véritablement débridée signée Patrice Jean.

Par Johan Rivalland

Nous avons déjà eu l’occasion de présenter ici-même deux des romans de Patrice Jean, Tour d’Ivoireet La poursuite de l’idéal, dans lesquels il se montre particulièrement habile à mettre en lumière les travers et dérives de notre époque.

Dans son dernier roman, Rééducation Nationale, il se lâche véritablement, n’hésitant pas à pousser l’histoire jusque dans le farfelu et la caricature, pour le plus grand plaisir du lecteur.

Idéalisme et conformisme

Patrice Jean n’a eu aucun mal, on l’imagine, à s’inspirer de ce qu’il a certainement dû connaître et observer dans son expérience de professeur de lycée. On conçoit bien qu’il a pu éprouver l’envie de grossir le trait de cette comédie qui se joue dans certains milieux enseignants et les petits défauts typiques que l’on peut y rencontrer.

Dès les premières pages, un véritable concentré d’ironie contenu dans le vocabulaire, la peinture des situations, les analogies, le portrait saugrenu du personnage principal, attend le lecteur. Le ton est donné.

Bruno Giboire est un jeune idéaliste, mais pas du tout à la manière du personnage de La poursuite de l’idéal, ici plutôt de type candide ou assez profondément naïf. Il s’apprête à intégrer l’Éducation nationale qui, en manque de professeurs, fait paraître un décret permettant à des personnes voulant se reconvertir, comme c’est son cas, d’avoir l’opportunité d’être titularisées en passant un simple concours d’aptitude.

On s’attend à ce que ce personnage déchante rapidement, comme c’est le cas pour beaucoup qui se leurrent sur ce qu’est devenu l’Éducation nationale et sur ce qu’est aujourd’hui enseigner auprès d’un public et des méthodes qui ont bien changé… Mais pas vraiment. Si notre personnage aura quelques surprises, il n’en garde pas moins la foi en son idéal et sa motivation à tenter d’éveiller les lumières de la raison et de la passion dans les yeux de ses chers élèves (ce qui est non seulement parfaitement louable en soi, mais certainement souhaitable, même si loin d’être évident).

En réalité, ce qui se révèle très rapidement est le degré de conformisme dont fait preuve Bruno, qui tente si bien de se fondre dans le moule de l’esprit qui règne en salle des professeurs et d’appartenir à une communauté dont il est si heureux de se rapprocher, qu’il n’en perçoit pas tout de suite les dangers, les désillusions, les contradictions, voire le caractère souvent un peu puéril. Il n’est pas le seul à être pétri d’idéal. Mais quand cet idéal se fond dans l’idéologie et se confond avec l’idéalisme, la pureté et la sincérité des sentiments dévoués risquent bien de dériver vers des formes de vive désillusion.

Il aimait le travail en équipe, comme si, dans une vie antérieure, il avait grandi dans un kolkhose. Penser seul, l’attristait ; et d’ailleurs, dans la solitude, il ne pensait pas, ou peu. Bruno était l’homme des groupes, des clans, des familles, des tribus : un homme social, un homme que les existentialistes auraient défini comme étant pour autrui. Un homme collectif. Un homme fourmi. Les autres hommes sociaux, à son image, promouvaient la passion de l’attroupement, de l’association et du Même. Tous auraient voulu n’exister que par autrui et pour autrui. Et surtout n’être rien par eux-mêmes. L’inappétence pour le collectif, à leurs yeux-fourmis, s’apparentait à une désertion de la cause humaine. Une trahison. Une collaboration avec le néant.

Communes indignations

Car de conformisme il est bien question, mais aussi de traditionnels comportements mimétiques, caractéristiques de la plupart des communautés. Et de « communes indignations », l’un des thèmes de prédilection de Patrice Jean. Qui va nous entraîner dans une situation absolument délirante à travers laquelle, dans la seconde partie du roman, il va nous mener vers les sommets de l’absurde, au cours de péripéties qui frisent le grotesque tant elles sont drôles et pathétiques (on peut dire que l’auteur s’est fait plaisir et entend bien entraîner avec lui le lecteur, espérant bien le faire rire).

À partir de ce moment-là, le personnage principal Bruno Giboire va connaître des hauts et des bas, des moments de doute et de déprime, alternant avec d’autres moments où il se reprend, suscitant en lui un début de réflexion à la fois déprimante et potentiellement salvatrice.

Et si personne n’était en mesure de rendre compte de ses propres pensées ? Cette idée l’effraya. On se trouvait peu à peu possesseur d’une vision des choses qu’on croyait être sienne, alors qu’on s’imbibait d’idées qui traînaient dans l’air, dans sa classe sociale, dans son époque, au milieu des copains, de la famille, à travers les émissions de radio ou de télévision. Pierre Renoir, en citant Spinoza, aimait à se moquer des « connaissances par ouï-dire », celles qu’on reçoit au berceau, puis qu’on vous prodigue tout au long de votre vie, et qu’on prend pour argent comptant. « On croit s’en défaire, dans le meilleur des cas, à l’adolescence, en étudiant les philosophes ou les sciences positives, mais les plus lucides n’échappent pas au reproche du mécanisme inconscient de la pensée ! De sorte que, concluait Renoir, personne ne pense vraiment par lui-même. » […] Cette découverte déprima Bruno. Le doute l’empêcherait dorénavant d’adhérer tout à fait à ce qu’il disait, à ce qu’il croyait, à ce qu’il pensait. Il était en partie sauvé pour les choses de l’âme, et perdu pour tout le reste.

Candide, disions-nous plus haut. L’image est parfaite. Notre personnage plein d’illusions et de naïvetédécouvre, apprend, subit des déconvenues, et évolue peu à peu, au beau milieu de personnages hauts en couleurs. Lui qui manie si bien ce jargon dont l’Éducation nationale a le secret (qui, replacé habilement et comme innocemment dans le fil du roman, révèle bien tout son caractère hautement pernicieux et ridicule), il va se situer au premier plan pour assister à toutes les lubies du moment. Car comme dans ses autres romans, Patrice Jean n’omet pas d’introduire par petites touches de petites piques à l’adresse non seulement des fantasmes révolutionnaires, mais aussi wokistes de notre époque.

C’est alors que Colette eut l’idée de débaptiser le syntagme « vacances d’avril » en « quatrièmes vacances scolaires », sous prétexte que la référence au mois d’avril célébrait une époque religieuse de l’humanité : on avait eu la peau des « vacances de Pâques », ce n’était pas pour s’inféoder à Aphrodite, la déesse athénienne à qui avril devait son nom ! […] Dans sa rigueur antireligieuse, Colette aurait aimé que la langue française elle-même procédât à un examen de conscience et se délestât de son héritage latin, entaché par les crimes de l’Inquisition […] La contestation n’alla pas plus loin : la sauce ne prenait pas. Colette, mortifiée, renonça à son combat. Elle y avait pourtant cru, elle s’était vue à l’avant-garde d’une lutte pour le progrès ; son nom serait resté comme celui d’une femme engagée, courageuse, prête à défier les pesanteurs idéologiques de son époque. Il ne lui resta plus qu’à se plaindre de la droitisation des esprits et de la lente dérive du pays vers les marécages du conservatisme.

Les Justes

Sans trop dévoiler l’histoire, et en espérant avoir suffisamment suscité l’intérêt pour vous donner envie de lire le livre, on y trouve bien présents tous les stéréotypes de la pensée et les dérives totalitaires (mais non conscientes) de la bien-pensance. Sous la plume pleine de talent et de dérision de Patrice Jean, qui parviendra à vous faire sourire plus d’une fois.

On appréciera les références littéraires, tantôt sous forme de stéréotypes volontaires, tantôt en filigrane, n’ayant pas besoin d’être avancées ou même citées pour qu’on y voit toute la portée symbolique. Comme cette évocation des Justes, dans lesquels certains des professeurs en question semblent désireux de s’incarner.

Si Patrice Jean n’épargne personne, et conserve sa liberté de pensée, je ne lui en veux pas de méconnaître probablement – même s’il est plutôt moins virulent que la moyenne à son égard, tout juste ironique à sa manière – ce qu’est ou n’est pas le libéralisme. Tout juste en fait-il une toute petite caricature (en bas de la page 113), assimilant un professeur qui apparaît aux yeux des autres comme un libéral sous l’apparence d’un jeune loup dynamique adepte de la performance et d’un esprit de startuper aimant manier les technologies, les concepts et le vocabulaire anglo-saxons. Pas bien méchant et drôle malgré tout.

En conclusion, il s’agit d’un roman plein d’humour, de légèreté et de dérision, au rythme enlevé mais assez court (144 pages). Sans doute pas le meilleur de Patrice Jean, mais bon tout de même, car bien dans le ton de l’auteur et des idées qui lui sont chères, même si ici le choix de la satire sous forme d’un joyeux délire le rend un peu moins profond que les précédents.

On se prend d’ailleurs à se demander, à peine finie la lecture, quel nouveau plat il va nous servir pour son prochain roman, que l’on attend déjà avec curiosité.

Patrice Jean, Rééducation Nationale, Rue Fromentin, septembre 2022, 144 pages.

https://www.contrepoints.org/2022/10/31/441618-reeducation-nationale-de-patrice-jean

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1 Commentaire

  1. Réeducation Nationale c’est une ode contre le Wokisme qui se développe de manière considérable dans le but d’imposer des idées d’extrême gauche avec la repentance des Européens au point de vue de l’enseignement de l’histoire , théorie critique de la race , endoctrinement à l’écologie punitive , l’antiracisme dévoyé , bidonné , le féminisme fanatique hystérique bref la totale . Pap Ndiaye favorise le Wokisme dans l’éducation nationale afin de former les petits Français aux conneries progressistes .

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