Atlantico : S’agit-il d’une réelle droitisation de fond de LR ? Ne faut-il pas plutôt y voir une réduction de son discours par manque de convictions ?
Yves Michaud : La diabolisation des idées du FN/RN ne date pas d’hier et elle ne tient pas uniquement à la bonne conscience « de gauche », qu’elle soit de gauche…ou de droite. La diabolisation de ce parti doit tout à la mainmise de la famille Le Pen sur lui. Jean-Marie Le Pen multiplia pendant quarante ans ses provocations pétainistes, racistes, anti-sémites, Algérie française. La séquence « femmes » du parti qui a pris le relais avec Marine Le Pen et Marion Maréchal le Pen, même avec des inflexions réelles et un changement de nom, ne modifie pas grand chose : l’étiquette Le Pen est bien accrochée. Elle a permis au parti de se rendre identifiable mais elle l’a rendu infréquentable. D’où les réactions effarouchées des partis dits « de droite », que ce soit sous Chirac, sous Sarkozy ou aujourd’hui : eux seuls sont la vraie droite ! Et puis ils s’aperçoivent un beau jour qu’ils n’ont plus d’électeurs. Faites le calcul ! 8,5 % de 50 % de votants pour LR, ça fait royalement 4,25 % de l’électorat ! Le caractère malodorant du lepénisme a fait vivre beaucoup de politiciens et d’électeurs, et pas seulement à droite, dans l’illusion que la seule et vraie droite, c’est la droite « convenable ». On ne veut surtout pas voir que la droite comprend aussi l’extrême droite. Sarkozy, bon manœuvrier, avait senti le problème mais, comme l’âne de Buridan, il resta coincé entre sa droite Buisson pas si éloignée du FN, et sa droite Guaino républicaine et presque chevènementiste. Wauquiez aussi a vu le problème, sans arriver à le traiter. De là ses doubles discours. La malédiction demeure et elle fait des ravages. Résultat, la droite, c’est Macron.
Or, comme le montre l’exemple danois, la prise au sérieux de la pénétration islamique en Europe et autour de la Méditerranée, celle de la crise migratoire ne sont pas forcément des infamies réservées à la seule extrême droite. On peut faire l’autruche et ne pas vouloir voir que la propagande islamique ne cesse de faire des adeptes. Un bon indice en est le désintérêt quasi total des banlieues immigrées pour les élections, quelles qu’elles soient : ce n’est pas leur pays! De même il est difficile de nier que derrière la misère des migrants il y a le juteux business des passeurs et de nombreuses ONG, certaines bien intentionnées, d’autres moins.
Le résultat, la droite « convenable » se bat à reculons sur des questions dispersées, sans cohérence, ni vision d’ensemble.
Ça ne date pas d’hier. Le chiraquisme, le juppéisme, le pécressisme sont des centrismes plus ou moins modernes, avec des variantes dans le style Amstrad (Juppé) ou Apple (Pécresse).
Pour reconnaître les problèmes de manière cohérente et les aborder intelligemment, il faudrait une articulation intellectuelle solide, comme celle de Thierry Baudet en Hollande avec son FvD Forum voor Democratie – mais il n’a pas réussi pour autant sa percée aux récentes européennes.
Il faudrait aussi, de l’autre côté, que le FN/RN ne soit plus un parti « Le Pen ». Marion Maréchal Le Pen semble s’en rendre compte avec ses velléités de think tank, mais elle a quand même le chewing gum Le Pen collé à ses Louboutin. Résultat : Macron pourra continuer à régner face au RN jusqu’au jour où ça risque d’être vraiment ric-rac face au populisme. Car le fait patent est aussi celui de l’institutionnalisation graduelle mais constante du populisme RN.
La droite se retrouve-t-elle donc cantonnée à jouer un rôle caricatural qu’on lui a assujetti, par manque de fondations ? Subit-elle sur ce point une sorte d’intimidation morale paradoxale de ses adversaires ?
Même si on est dans un jeu de stratégie où chaque joueur pèse sur la place et la définition des autres, il ne faut pas tout rejeter sur l’intimidation morale par les adversaires.
D’abord la droite « convenable » a fait sienne la correction politique et morale de l’époque. Je suis effaré des dégoulinades de langue de bois, de bien-pensance et d’euphémismes dans les débats radio, télé et dans les pages « débats » ou « idées » des quotidiens.
Ensuite, les « élites » de la droite (aujourd’hui il faut mettre des guillemets quasiment partout!) viennent, comme pour le macronisme ou le hollandisme, de l’Ena. Et donc elles ne savent quasiment rien ; elles n’ont ni savoir ni vision. Voyez comment deux énarques devenus ministres des Affaires étrangères et de camp opposé, Juppé et Fabius, ont fait preuve d’une incompétence totale sur la Syrie et la Libye, comme s’ils n’avaient jamais entendu parler de la « question d’Orient », et encore moins lu Volney (1787!).
Ensuite, une fois dans la vie politique, aller sur les marchés, rester douze heures au Salon de l’agriculture et débattre interminablement, ça donne l’air sympa, mais ça ne laisse pas beaucoup de temps pour étudier et lire. Ces gens ne font que de la politique. Ils passent de radio en télé en faisant écrire leurs livres par des journalistes qui font des ménages.
Quant au système français des think tank, il est, à une ou deux exceptions près, d’un amateurisme confondant. Un think tank français ? On s’y fait du réseau comme aux repas du Siècle. De ce point de vue, le livre de Buisson sur le septennat Sarkozy vu au jour le jour comme une pétaudière intellectuelle est désopilant – Hollande, lui, s’est chargé tout seul de faire sa propre légende avec Lhomme et Davet. Quant à Chirac….Sans remonter à Pompidou, les seuls hommes politiques un peu articulés des décennies passées – et hélas elles sont lointaines – furent Giscard, Barre et Rocard.
La droite n’est donc pas intimidée : elle est vide. Ou plutôt elle est intimidée parce qu’elle est vide. Du coup elle attrape tout : les 80km/h, la PMA, la défense du Sénat, le principe de précaution, les régimes spéciaux de retraite (mais pas ceux des inspecteurs des finances!), etc., etc. Sans oublier l’écologie ni le clonage. Souvenez-vous : Chirac voulait mettre l’interdiction du clonage dans la Constitution et Macron semble vouloir y mettre aussi « la lutte contre le changement climatique ». Pourquoi pas constitutionnaliser la suppression de la voiture de queue dans le métro pour que ses voyageurs ne se sentent pas méprisés ?
Si la droite pouvait assumer ses idées sur le plan économique notamment, cela ne lui permettrait pas de défendre sans en souffrir ses idées sur les questions d’immigration et de défense des intérêts nationaux ?
Il faudrait effectivement que la droite tente de formuler un programme cohérent et général et pas un chapelet de mesurettes. Économiquement, elle n’a aucune vision – pas plus que Macron d’ailleurs. Il lui faudrait, par exemple, cesser de parler de libéralisme. Le libéralisme économique comme libre circulation des capitaux, des entreprises, des hommes, des spéculations, on a vu ce que ça donnait. Les politiques économiques américaine et chinoise sont des politiques de réalistes qui ne s’embarrassent pas de scrupules. En revanche, s’attaquer à l’État obèse, sur-réglementé, sur-réglementeur, à la productivité faible, ce peut être une forme positive de libéralisme. Un jour qu’il devait revenir tout joyeux de la rue du Cirque, Hollande eut l’idée d’un grand « choc de simplification ». On ne vit rien venir mais voilà qui serait une riche idée. Seul Fillon avait proposé ce choc en lançant sa campagne – mais patatras, lui aussi pratiquait les emplois fictifs !
Pour revenir à plus de sérieux, il faudrait surtout se rendre compte qu’on ne peut plus analyser la droite et sa situation politique sur le mode René Rémond 1954, en ramenant la tripartition légitimiste, orléaniste, bonapartiste. La réalité française est considérablement plus compliquée et fluide. Il faut partir de la réalité socio-économique française : des fractures sociales multiples et profondes, des fractures générationnelles et technologiques profondes, des clientèles politiques très segmentées et qui consomment les programmes selon les moments et les crises. La droite a survécu tant qu’elle a réussi à trouver des chefs qui conciliaient la chèvre et le chou : Chirac, Sarkozy et, il faut bien le dire, Macron. Le « en même temps » de Chirac, c’était ce mot « naturellement » dont il accompagnait tous ses propos (« nous allons réformer la fonction publique mais naturellement sans toucher au statut des fonctionnaires…. »). Le « en même temps » de Sarkozy, c’était ses confidences périodiques avec un sourire de gamin comme quoi… « j’ai changé ». Macron lui dit carrément « en même temps ». Plus ça change….
Bref, la situation non seulement n’est pas bonne, elle est calamiteuse.
S’y ajoutent en effet tous les facteurs sur lesquels nous n’avons aucune prise ou presque : la tenaille anti-européenne USA-Russie, la machine européenne elle-même, le réchauffement climatique et les migrations, la transformation du monde, de la pensée, de la vie par les technologies numériques. Il reste à se souvenir de Malcolm Lowry qu’aimait à citer Clément Rosset : de toute manière les choses arrivent d’une certaine manière. Lisant hier soir Saint-Simon sur la terrifiante année 1709 avec la guerre partout, les caisses vides, un épisode glacial détruisant tout, des taxes qui font mourir de faim paysans comme bourgeois, des nobles incompétents et vaniteux se disputant préséances et tabourets auprès d’un Roi Soleil bientôt pourrissant, je songeais que quatre-vingts ans plus tard….
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Il y a très longtemps que moi et ma famille ne votent plus pour la droite la plus bête du monde et a l’allure où les choses se passent nous ne sommes pas prêts d’y retourner .
À l’occasion de ces élections européennes du dimanche 26 mai 2019, le parti LR (dernier avatar du RPR fondé le 5 décembre 1976 par la clique Chirac) a subi un revers électoral dont il ne se relèvera pas.
Ce conglomérat de « maquignons de la patrie » a été congédié par sa clientèle de nantis qui, pour sauvegarder son avoir, a préféré se vendre à la clique Macron.
Et vendredi 31 mai 2019, nous autres patriotes parisiens avons pu voir le député LR Goasguen courir après sa clientèle en proposant ses services à la clique Macron pour les élections municipales de 2020.
Et mercredi 5 juin 2019, v’là-t’y la présidente de région Pécresse qui s’invite au « 20 heures » de France 2 pour annoncer aux Français qu’elle démissionne du parti LR. Mais ce dimanche matin la Valérie nous a précisé sa « démarche » : Elle a démissionné pour mieux coopérer à la création d’une « Grande Alternative » à Macron « sous l’égide » du président du Sénat Larcher.
Le Gégé du palais du Luxembourg devrait retourner soigner les chevaux, plutôt que vouloir sauver la mise aux perdants de LR. Car une fois passées les prochaines élections municipales, régionales et départementales, quelle sera « Grande Alternative » à Macron, sinon la République bleue Marine.