Nous présentons (en deux parties) un entretien du « Figaro » avec un chercheur israélien qui développe cette idée que la nation, opposée à l’empire, est la bonne échelle pour penser une communauté humaine …
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Le nationalisme est sur toutes les lèvres, et pourtant, affirme Yoram Hazony, ce concept n’a jamais été aussi mal compris. Le philosophe entend réhabiliter la «vertu du nationalisme», qu’il oppose à la «tentation impérialiste», et promouvoir la vision d’un monde fondé sur l’indépendance et la liberté des nations.
Yoram Hazony est spécialiste de la Bible et docteur en philosophie politique.
https://en.wikipedia.org/wiki/Yoram_Hazony
Il a fondé le Herzl Institute et enseigne la philosophie et la théologie à Jérusalem.
Ce penseur de la droite israélienne est également auteur de nombreux articles publiés dans les journaux américains les plus prestigieux, du New York Times au Wall Street Journal.
Presque inconnu en France, sonlivre The Virtue of Nationalism a suscité un vif débat aux Etats-Unis.
LE FIGARO MAGAZINE. – Le 11 novembre dernier, Emmanuel Macron déclarait aux chefs d’Etat du monde entier: «Le nationalisme est la trahison du patriotisme.» Qu’en pensez-vous?
Yoram HAZONY. –
Aujourd’hui, on ne cesse de nous répéter que le nationalisme a provoqué les deux guerres mondiales, et on lui impute même la responsabilité de la Shoah.
Mais cette lecture historique n’est pas satisfaisante.
J’appelle «nationaliste» quelqu’un qui souhaite vivre dans un monde constitué de nations indépendantes.
De sorte qu’à mes yeux, Hitler n’était pas le moins du monde nationaliste.
Il était même tout le contraire: Hitler méprisait la vision nationaliste, et il appelle dans Mein Kampf à détruire les autres Etats-nations européens pour que les Allemands soient les maîtres du monde.
Dès son origine, le nazisme est une entreprise impérialiste, pas nationaliste.
Quant à la Première Guerre mondiale, le nationalisme est loin de l’avoir déclenchée à lui seul!
Le nationalisme serbe a fourni un prétexte, mais en réalité c’est la visée impérialiste des grandes puissances européennes (l’Allemagne, la France, l’Angleterre) qui a transformé ce conflit régional en une guerre planétaire.
Ainsi, le principal moteur des deux guerres mondiales était l’impérialisme, pas le nationalisme.
Donald Trump, lui, avait déclaré il y a quelques semaines: «Je suis nationaliste.» Y a-t-il aujourd’hui un retour du nationalisme?
Le nationalisme est en effet en vogue en ce moment: c’est du jamais-vu depuis 1990, date à laquelle Margaret Thatcher a été renversée par son propre camp à cause de son hostilité à l’Union européenne.
Depuis plusieurs décennies, les principaux partis politiques aux Etats-Unis et en Europe, de droite comme de gauche, ont souscrit à ce que l’on pourrait appeler «l’impérialisme libéral», c’est-à-dire l’idée selon laquelle le monde entier devrait être régi par une seule et même législation, imposée si besoin par la contrainte.
Mais aujourd’hui, une génération plus tard, une demande de souveraineté nationale émerge et s’est exprimée avec force aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie, en Europe de l’Est et ailleurs encore.
Avec un peu de chance et beaucoup d’efforts, cet élan nationaliste peut aboutir à un nouvel ordre politique, fondé sur la cohabitation de nations indépendantes et souveraines.
Mais nous devons aussi être lucides: les élites «impérialistes libérales» n’ont pas disparu, elles sont seulement affaiblies.
Si, en face d’eux, le camp nationaliste ne parvient pas à faire ses preuves, elles ne tarderont pas à revenir dans le jeu.
Quel est ce «nouvel empire libéral» dont vous parlez? Et qu’entendez-vous exactement par «impérialisme»?
Historiquement, le «nationalisme» décrit une vision du monde où le meilleur système de gouvernement serait la coexistence de nations indépendantes, et libres de tracer leur propre route comme elles l’entendent.
On l’oppose à «l’impérialisme», qui cherche à apporter au monde la paix et la prospérité en unifiant l’humanité, autant que possible, sous un seul et même régime politique.
Les dirigeants de l’Union européenne, de même que la plupart des élites américaines, croient dur comme fer en l’impérialisme.
Ils pensent que la démocratie libérale est la seule forme admissible de gouvernement, et qu’il faut l’imposer progressivement au monde entier.
C’est ce que l’on appelle souvent le «mondialisme», et c’est précisément ce que j’entends par «nouvel empire libéral».
Bien sûr, tous les «impérialistes libéraux» ne sont pas d’accord entre eux sur la stratégie à employer!
L’impérialisme américain a voulu imposer de force la démocratie dans un certain nombre de pays, comme en Yougoslavie, en Irak, en Libye ou en Afghanistan.
En Europe, on se désolidarise du militarisme américain: les impérialistes allemands ou bruxellois préfèrent d’autres formes de coercition… mais leur objectif est le même.
Regardez comment l’Allemagne cherche à imposer son programme économique à la Grèce ou à l’Italie, ou sa vision immigrationniste à la République tchèque, la Hongrie ou la Pologne.
En Italie, le budget a même été rejeté par la Commission européenne!
Est-ce que, selon vous, le nationalisme et l’impérialisme sont deux visions de l’ordre mondial qui s’affrontaient déjà dans la Bible?
Le conflit entre nationalisme et impérialisme est aussi vieux que l’Occident lui-même.
La vision nationaliste est l’un des enseignements politiques fondamentaux de la Bible hébraïque: le Dieu d’Israël fut le premier qui donna à son peuple des frontières, et Moïse avertit les Hébreux qu’ils seraient punis s’ils tentaient de conquérir les terres de leurs voisins, car Yahvé a donné aussi aux autres nations leur territoire et leur liberté.
Ainsi, la Bible propose le nationalisme comme alternative aux visées impérialistes des pharaons, mais aussi des Assyriens, des Perses ou, bien sûr, des Babyloniens.
Et l’histoire du Moyen Âge ou de l’époque moderne montre que la plupart des grandes nations européennes – la France, l’Angleterre, les Pays-Bas… – se sont inspirées de l’exemple d’Israël.
Mais le nationalisme de l’Ancien Testament ne fut pas tout de suite imité par l’Occident.
La majeure partie de l’histoire occidentale est dominée par un modèle politique inverse: celui de l’impérialisme romain.
C’est de là qu’est né le Saint Empire romain germanique, qui a toujours cherché à étendre sa domination, tout comme le califat musulman.
Les Français aussi ont par moments été tentés par l’impérialisme et ont cherché à conquérir le monde: Napoléon, par exemple, était un fervent admirateur de l’Empire romain et n’avait pour seul but que d’imposer son modèle de gouvernement «éclairé» à tous les pays qu’il avait conquis.
Ainsi a-t-il rédigé de nouvelles constitutions pour nombre d’entre eux: les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne…
Son projet, en somme, était le même que celui de l’Union européenne aujourd’hui : réunir tous les peuples sous une seule et même législation.
A suivre : la deuxième partie de cet entretien :
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