Drôle de Tour de France que celui des attaques au couteau de cet été

Détournement de France…

Dans ses chroniques du Tour de France ( 1 ) , Antoine Blondin décrivait chaque soir d’étape une tranche de France parcourue par la célèbre épreuve cycliste. Avec sa verve inimitable (ainsi que quelques bouteilles dans la musette), il dévoilait tout autant les campagnes et les villages que le déroulement de la course. Moins de quarante ans après son dernier Tour, c’est une toute autre ambiance qui caractérise cet été expirant. C’est une toute autre France qui s’exprime, non pas le jour, mais la nuit, non pas à bicyclette, mais avec des couteaux, quotidiennement, ici à Grenoble, là à Paris ou à Toulouse, la Seyne-sur-Mer, Nîmes, Lannion, Lorient, Aulnay-sous-Bois, Niort, Nantes, Périgueux, Clermont-Ferrand, Metz, Cholet, le Havre, Lyon, Lille… Un vrai Tour de France vous dis-je ! Mais ne cherchez pas des grimpeurs ou des sprinters, vous ne trouverez que des victimes. Ici, ce fut Adrien, là Kevin… Plantés, tailladés, égorgés, ils sont morts dans l’ombre, dans un silence assourdissant.

Non, ce Tour de France de la violence ne trouva pas son Blondin pour être relaté. Ces « faits divers », vites balayés par d’autres actualités truculentes sur les chaines d’info en continu seraient, au mieux, expliqués par des esprits féconds invités sur les plateaux. On évoquait alors la sempiternelle « piste psychotique », d’un « déséquilibré ». On justifiait aussi ces actes criminels par la précarité, comme si la pauvreté n’existait et n’avait jamais existé dans les campagnes, sans se traduire systématiquement de cette façon. On les légitimait aussi par les configurations architecturales des grandes cités, en occultant qu’une partie des immigrés asiatiques y vivent également, en étant alors bien souvent victimes d’agressions. Mais jamais, ô grand jamais, le journaliste, le sociologue ou l’universitaire n’envisagerait d’autres pistes de réflexion.

Tel Lord Voldemort, dont on ne doit pas prononcer le nom, cette violence ne devait pas avoir de visage. Même si tout le monde la connaît, elle devait rester ineffable. A celui qui prononcerait les mots pour la dévoiler, on jetterait l’opprobre. Oui, dire de qui vient cette violence, ce serait accepter d’être rangé parmi les salauds, les parias, pire même : parmi « les racistes ».

 

NOTE 1 Nostalgie, nostalgie….

19 juillet 1954 : l ’enthousiasme d ’une première
Première chronique, extrait de « Du pin et des jeux » (p. 17*)

« De Bordeaux à Bayonne, je me suis étonné d’être dans cette caravane qui décoiffe les filles, soulève les soutanes, pétrifie les gendarmes, transforme les palaces en salles de rédaction, plutôt que parmi ces gamins confondus par l’admiration et chapeautés par nescafé. Je peux le dire, mon seul regret est de ne pas m’être vu passer. […] C’est donc aux spectateurs que j’en avais, tandis que nous poussions notre troupeau de coureurs à travers des villages où les notables s’érigent en chefs d’îlot de l’enthousiasme. Je savourais la ferveur qui s’attachait à notre transhumance. Elle nous rappelle que l’art de vivre est d’abord un système de communication des êtres. »

23 juillet 1955 : « J ’ai été ce petit garçon »
Extrait de « Cépage et sans pitié » (p. 197)

« J’ai été ce petit garçon, le nez collé à la vitre, qui me regarde écrire avec un respect patient, et quand je lève un peu la tête j’ai l’impression de me regarder moi-même à travers le miroir sans tain du souvenir. Ce que pense cet enfant, je l’ai pensé aussi, comme j’ai attendu ce qu’il espère encore. […] Il n’écarquille les yeux que pour chiper en fraude les confitures du prestige que les champions endormis nous ont délégué, et se méprend d’un cœur léger sur cette pâle contrefaçon de la gloire qui s’attache à nos macarons. […] Son innocence gloutonne est celle du bonheur. Quand il sera grand, il sera coureur ou journaliste. Ça vient de se décider, là, sur-le-champ. La vie est si belle de l’autre côté de la vitre. Aujourd’hui que j’ai atteint l’âge où l’on croit savoir ce que les enfants ignorent, c’est pour lui que j’écris ces lignes, le petit bonhomme d’Ax-les-Thermes. »

20 juillet 1957 : quand le Tour s ’achève
Extrait de « Tour d’Ivoire » (p. 49)

« Un maillot jaune, une peur bleue, une copie blanche et peu de matière grise… Nous en aurons vu de toutes les couleurs pendant trois semaines. La mémoire, comme un arc-en-ciel, retient et dilapide des souvenirs confonds, pépite qu’il nous faudra extraire de leur gangue et rentrer avant l’hiver, pour les veillées. Seul s’impose aujourd’hui ce sentiment que Gustave Flaubert  appelait la mélancolie des sympathies interrompues. Le Tour, carrefour des nations et de langages, pâque tournante pour les amitiés, est maintenant semblable à un quai de gare tout bruissant de partances et de déchirements refoulés. Des idées noires… »

14 juillet 1954 : la rivalité Anquetil-Poulidor
Extrait de « La Fièvre jaune »

« Bien sûr, le peuple attend que Poulidor, que l’on a très longtemps fait passer pour un « sans-culot », prenne la Bastille. La voxpopulidor ne s’en cache guère et son exaltation  n’est pas pour nous déplaire à condition qu’elle n’entache pas de goujaterie à l’endroit de l’extraordinaire aristocrate de la bicyclette qu’est Jacques Anquetil. On ne demande pas la tête de l’homme de tête aussi impudemment que nous l’avons vu faire sur les routes. […] Il faut que les gens sachent que le moment est venu où l’on peut être pour l’un sans être contre l’autre, car ils sont désormais complémentaires dans le cadre de ce Tour de France inoubliable et se font mutuellement valoir ».

1955 : qu ’est-ce que « se charger » ?
Extrait de « L’affaire des poissons », pastiche sous la forme d’une lettre de Madame de Sévigné à sa fille (p. 131)

« Ma toute bonne, nous aurions eu une randonnée bien fastidieuse, aujourd’hui, si notre société n’avait été agitée par une histoire que m’ont rapportée les cahiers de M. Goddet [alors patron du Tour, NDRL] qui est notre Saint-Simon : il tient le journal en main. […]  Savez-vous ce que c’est que se « charger » ? C’est la chose du monde la plus stupéfiante, si je puis m’exprimer ainsi ».

* Extrait de Antoine Blondin, la légende du Tour aux éditions du Rocher, 206 pages.

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2 Commentaires

  1. Faudrait faire un décompte depuis le 1er janvier des agressions au couteau avec ou sans mort, je suis presque sûr que ça dépasse largement le nombre de victimes du Bataclan.
    C’est de l’attentat « goutte-à-goutte » qui rend les politiques aveugles.

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