Voici à nouveau un feuilleton, plus court, juste deux parties, dans un genre très différent du précédent (lettre à mes enfants)…
Le récit est prenant, stressant, bien mené… Savourez-le jusqu’au bout, surtout la fin que nous publierons demain soir.
Christine Tasin
Un fait divers.
Ça n’arrive qu’aux autres… et si ça vous arrivait ? 20.III.18
“Mamy, c’est moi…” dit Lucille.
-Oui ma chérie, je vois ton nom sur mon display…”répondit Susanne comme pour dire qu’elle n’était pas encore tout à fait gaga.
-Est-ce que Philippe est chez toi?
-Non… il n’est pas chez vous?
-Non… il n’est pas encore rentré de l’école…
-Il sera chez un copain et n’aura pas vu l’heure tourner…
-Je voulais d’abord te demander…
-Non, non… je ne l’ai ni vu, ni entendu… tiens-moi au courant… ne t’affole pas… tu te souviens de cette fois où tu étais allée avec Jeanine chez ses grands-parents …
-Oui, bon… allez, je te rappelle…
Susanne déposa le cornet de son téléphone et se dit qu’avec les gosses on n’avait décidément que des emmerdements… Puis elle alluma la télé pour suivre le journal parlé.
Vers 22h00 son gendre l’appela.
-Mamy, c’est moi…”
-Oui, – répondit Susanne – je vois votre nom sur mon display… en pensant « mais qu’est-ce qu’ils ont aujourd’hui… »
-Voilà – dit Jacques – nous avons alerté tout le monde… Philippe est sorti de l’école avec ses copains et puis ils se sont séparés avant l’entrée du Parc et depuis là… plus aucune trace… Je viens d’avertir la police…”
-Qui vous a répondu qu’il était sans doute chez un copain…”
-Non. Ils m’ont dit qu’ils prennent cela très au sérieux et qu’ils envoient une patrouille avec des chiens ratisser le Parc…
Et puis les jours passèrent. Les enfants de la classe de Philippe allèrent distribuer et coller des affiches avec sa photo et un avis de recherche… La photo émouvante d’un petit garçon au sourire ouvert, aux yeux bleus et cheveux bouclés blonds, façon “petit garçon modèle”, style Comtesse de Ségur. On en parla à la télé et à la radio. La police interrogea tout le monde. Les chiens avaient suivi une trace jusqu’à la sortie du parc et puis tout d’un coup plus rien…
-Votre fils a sans doute été enlevé avec une voiture… avait dit le policier…
On l’aurait deviné…
Et puis la vie reprit son cours pour tout le monde sauf pour Lucille et Jacques qui rentraient le soir et maintenant ne savaient plus quoi dire, ni même quoi se dire. Autour de la table, cette chaise qui restait vide, le bruit qui ne dérangeait plus, les devoirs qu’on ne corrigeait plus, les récitations qu’on ne récitait plus. Ce n’était que maintenant qu’on mesurait l’espace que cet enfant, pourtant d’une nature si calme, avait occupé dans la maison. Tout resta suspendu… suspendu au téléphone… va-t-il sonner… qui va appeler… et pour dire quoi…
Susanne avait cessé de respirer, elle était en apnée… elle continuait sa vie de tous les jours avec les gestes de tous les jours, mais elle n’était pas présente dans l’automate qui s’était emparé de son corps. Elle continua à aller « faire son tour au marché », à aller « faire son heure à la piscine », à aller « donner des graines aux oiseaux ». Son apparence n’avait pas changé, mais dedans elle était vide.
Les jours passèrent, puis les semaines et puis les mois. Les journaliste qui au début avaient remué ciel et terre avaient fini par se lasser. C’était le calme plat.
Puis, à l’improviste, un matin en fin de matinée un policier vint sonner chez Susanne.
-Votre fille nous a demandé de venir vous voir.
-C’est gentil, je la reconnais bien là, ma fille est pleine d’attentions… mais?
Susanne fit entrer le policier, elle le fit asseoir, prit deux verre et versa de bonnes rasades de Calvados et tendit un verre au policier.
-Je sais bien qu’en service vous ne buvez pas… mais je suppose que cela va faciliter notre conversation?…
-En effet – dit le policier- on a trouvé un corps…
-S’il s’agissait de “un corps” vous ne viendriez pas me le dire à moi… vous avez trouvé le corps de mon petit-fils…
-Oui madame…
-Où?”
-Dans une carrière désaffectée en lisière de la Forêt des Mélèzes…
-C’est loin d’ici…
-Oui, c’est à 243 km d’ici…
-Et? …
-Eh bien, si on pouvait en rester là, ce serait moins pénible pour tous.
Susanne s’assit confortablement et rechargea les verres.
-Seulement que, vous et moi, nous n’allons pas en rester là…
-Nous voulons vous épargner les détails….
-Si vous voulez épargner les détails à ma fille et à mon gendre, je suis bien d’accord avec vous, mais, moi, je veux les détails, tous les détails et aussi les photos et les copies des rapports d’autopsie…
-Nous n’avons pas le droit, tout cela est secret professionnel… et puis il y a le secret de l’enquête…
-Vous, vous avez des enfants?
-Oui…
-Alors vous comprenez ce que je veux dire? Vous ne voulez sans doute pas que je lance des fausses nouvelles dans la presse? Vous préférez sans doute que nous réglions tout cela à l’amiable, entre quatre oreilles, en toute dignité?
-Je ne sais pas quoi vous dire…
-Alors je vais vous y aider, vous ne devrez même pas parler, votre regard me suffira. Mon petit-fils a été violé? Torturé? Mutilé?… N’en dites pas plus… il n’est pas nécessaire que vous disiez tout cela à ma fille. Quand allons-nous recevoir sa dépouille? Et quand allons-nous pouvoir l’enterrer?”
-Je vous tiendrai au courant…
Et puis ils restèrent assis en silence. Manifestement le policier avait vu les photos…
–J’oubliais: quand vous êtes de passage, arrangez-vous pour faire un saut chez moi, avec les photos. Vous avez ma parole, cela restera entre nous.
Un jour le policier vint sonner.
-Je suis pressé, je ne suis pas sensé sortir des photos de leur dossier….
Il s’assura qu’on ne puisse pas les voir de dehors, ouvrit l’enveloppe et étendit les photos sur la table de la cuisine, puis aussitôt les rangea et en silence il s’en alla… après avoir demandé, pour la forme
-Vous êtes sûre que ça va aller?…
-C’est moins grave de voir que d’imaginer…avait répondu Susanne…
Puis vint l’épreuve suivante: l’enterrement.
-Je m’en occupe – avait dit Susanne à sa fille – j’ai déjà fait cela pour mes parents et pour ton père. Pense à toi, tu vas en avoir besoin… va faire de la méditation transcendantale et du yoga.
Susanne téléphona à son ancien condisciple qui était devenu “entreprise de pompes funèbres”
-Salut François, faut organiser l’enterrement du p’tit… nous avons l’autorisation d’emporter le corps, un p’tit cercueil blanc, tu t’en charges? Tu imprimes les faireparts? Et les images souvenir? Non, non, comme dans le temps, comme on a fait pour mes parents et pour mon mari… Je t’envoie la photo et les textes par mail. Passe ici dès que tu as un projet. Merci… Oui, oui, je m’occupe du curé…
Susanne téléphona au curé qui vint lui rendre visite.
-Mes condoléances, Susanne.
-Merci Jean…
-Vous voulez un enterrement à l’église?
-Oui, le p’tit a été baptisé et il a fait sa première communion. Il a droit à un enterrement avec messe de requiem en latin, pour les enfants…
– Pour le latin ça va être difficile, il n’y a plus personne qui est capable.
-Ca ne fait rien, j’ai un CD avec le requiem de Fauré, c’est mon préféré et pour le p’tit ce sera parfait.
-Susanne, tu es passée chez le docteur? Tu prends des tranquillisants?…
-Non, j’en ai vu d’autres… C’est pas toi qui enseignes à tes ouailles de dire “que ta volonté soit faite…?…
-Tu ne veux vraiment pas assister à la messe plus souvent? Tu nous manques dans notre paroisse…
-Non tu sais bien que je suis catholique athée…
-Et la cérémonie?
-Surtout pas de niaiseries, pas de petites fleurs, petites bougies et petits poèmes… au premier rang la famille ensuite les enfants de sa classe et ensuite ceux qui voudront venir…
-Et les textes?
-Dans les évangiles Matthieu XXV 31 «chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes frères c’est à moi que vous l’avez fait.» et dans les épitres … un truc sur la colère de Dieu.
– Pas d’éloge funèbre…
-Quel éloge funèbre voudrais-tu faire? Qu’il a bien fait ses devoir et essuyait ses pied avant d’entrer… et ne valait rien pour le sport?
-L’homélie’
-Ah oui, le thème de l’homélie… l’apocalypse… XXI,8… Pour les lâches, les incrédules, les abominables, les meurtriers, les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres et tous les menteurs, leur part sera dans l’étang ardent de feu et de soufre, ce qui est une seconde mort
-Pour l’enterrement d’un enfant?
-Ben oui, en opposition entre la pureté de l’âme d’un enfant et l’horreur des meurtriers…
Puis la titulaire de la classe de Philippe vint voir Susanne:
-Les condisciples de votre petit-fils voudraient participer à l’enterrement…
-Le deuxième rang leur est réservé.
-Ils voudraient aussi faire quelque chose comme réciter un texte ou chanter une chanson…
-Vous avez une idée de chanson?
-Puisqu’ils vont tous aux scouts … peut-être “ce n’est qu’un au revoir”… on apprend ça chez les scouts…
–Mais alors à la condition que ce ne soit pas pleurniché mélo, mais chanté avec conviction, quelque chose de combattant comme on chante à l’armée…
-Venez écouter une répétition…
Et ensuite vint le jour de l’enterrement. Un enterrement tout à fait classique. Les gens habillés en noir, le petit cercueil blanc, les couronnes et les bouquets de fleurs. Les parents en larmes, les nombreuses personnes qu’on ne connaissait même pas, les journalistes et les photographes…
Susanne avait mis sa petite robe de circonstance en soie noire à pois blancs, son maquillage discret et pas de lunettes noires, pas de larmes non plus, pas d’expression non plus. Elle fut impassible, personne n’aurait pu deviner ce qu’elle pensait ou ressentait, elle était de granit.
Quand le cercueil sortit de l’église, les enfants se rangèrent en haie d’honneur et chantèrent “ce n’est qu’un au revoir” de façon décidée, comme si à partir de ce moment on partait pour se retrouver…
On descendit le petit cercueil au fond de son trou et chacun y jeta une pelletée de terre qui fit résonner le couvercle comme un tambour, puis le son devint de plus en plus sourd et puis on n’entendit plus rien… Sur la tombe d’à côté attendait un croix en bois avec un nom et deux dates. Voilà c’était tout ce qui restait de dix ans de la vie d’un enfant: une croix en bois naturel fichée dans un monticule de terre fraichement remuée.
Puis tout le monde s’en alla, c’était fini, terminé, classé… Non, non pas de marches blanches, rien du tout, point final.
Susanne invita sa fille et son gendre au resto et puis eux aussi rentrèrent chez eux. Une partie de leur vie était terminée, la page tournée, il allait falloir reprendre, ils avaient leur profession et puis le temps allait faire le reste…enfin, c’est ce qu’on dit.
Susanne rentra chez elle, alluma le feu ouvert, s’assit dans son fauteuil avec un verre de calva et se demanda “et maintenant?… bon, jusqu’ici on est arrivé jusqu’ici… et maintenant? et demain?…”
Le lendemain Susanne se leva de bonne heure comme à son habitude, elle se fit son demi-litre de café, mangea sa tartine beurrée, prit sa douche, enfila son jeans, son T-shirt et ses baskets, tout à fait comme d’habitude .
Sur son ordinateur elle lut les titres de la presse, puis vers 10h elle sortit, prit sa bicyclette et se dirigea vers le commissariat où elle chercha le policier auquel elle avait déjà eu à faire.
– S’il vous plaît, quand vous passez devant chez moi, entrez un moment…
Puis elle s’en alla vers le marché où elle connaissait un Marocain qui vendait des friandises orientales, des loukoums, des dates fourrées au massepain, des nougats, des biscuits au sésame, des jujubes et acheta des pâtes de fruits à la rose.
Puis elle rentra et décida de s’occuper de son jardin.
Ainsi Susanne avait repris le cours de sa vie et tout sembla comme avant.
Quelques jours plus tard le policier, qui en dehors de son service promenait son chien vint sonner.
-Mon chien ne vous dérange pas?
-Non pas du tout, asseyez-vous.
Elle prit deux verres et la bouteille de calva.
-Ca va?» – lui demanda le policier.
– Appelez-moi Susanne et vous c’est comment?”
-Moi c’est Armand…”
-Vous m’avez dit que vous avez des enfants, alors vous savez comment je vais, mais vous, comment allez-vous dans votre enquête?”…
-Justement … l’enquête… je n’y suis pas mêlé personnellement, mais j’ai des collègues… on parle… enfin, on parle, pas vraiment… on a comme l’impression qu’on ne va nulle part… ou qu’on ne veut aller nulle part… il y a comme un climat malsain… mais on ne sait pas quoi…”
-Et vous pensez que cette enquête aboutira à trouver les coupables?
-Rien n’est moins sûr, si on veut aller nulle part, on n’ira nulle part…
-C’est grave…
-Vous savez bien que la justice a ses raisons que la raison ne connait pas…
-Intérêts? Politique?
-On ne sait pas vraiment, en tous cas, nous avons une impression…je ne sais pas quoi dire…
-Alors ne dites rien, à moins que vous n’ayez des nouvelles…
Armand s’en alla avec son chien Tony en promettant qu’ils se promèneraient régulièrement dans le quartier.
Susanne se demanda ce que tout cela pouvait bien signifier…
La suite et fin demain…
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On attend la suite avec impatience.
On suppose que la fin du récit a quelque chose à voir avec ce qui rassemble les amis de RR.
Vivement demain …
Magnifiquement racontée cette histoire et d actualité malheureusement.
Je connais ce récit d’Anne L. que j’ai déjà lu l’an passé, avec intérêt et émotion sur un autre site.Appartenant à la génération des grands-parents comme la Suzanne du récit , mais sans doute d’un âge un peu plus avancé, j’engage tous les papis et mamies à entretenir leurs qualités sportives aussi bien qu’ intellectuelles dans le contexte actuel.. et pas seulement pour repousser l’entrée en maison de retraite! Merci à Anne, et à Christine d’avoir relayé cette histoire de détermination. et d’amour.
J’essaye de deviner la 2e partie:
Les coupables sont des politiques ou bien une catégorie de gens que l’on ne peut pas nommer car se serait une incitation à la « haine »…
ce serait, pas se serait.
faudrait faire des BD, c’est moins « hard »
J’aime bien que RR reprenne cette ancienne tradition des feuilletons……
Très présente dans la presse autrefois :
» Rocambole « , » Chéri-Bibi » , …..
à la radio aussi : » Signé Furax « , » Mort aux barbus « , » sur le banc » …
Il y avait des pépites d’or !
( je ne parle pas des » séries » ni de » poubelle je sais plus quoi » )
j’ai un peu pléonasmé : » ancienne tradition » !
je ne demande pas mieux, vous pouvez me proposer des récits