Adelphité ? Les bras m'en tombent !

Autour d’un monstre linguistique, l’« adelphité »
J’apprends par Résistance républicaine l’ahurissante proposition faite par des membres de notre représentation nationale en vue de modifier la Constitution : l’*adelphité devrait remplacer la fraternité ! Les bras m’en tombent, comme disait la défunte Vénus de Milo.

Que des « mal-baisées », comme l’a écrit quelqu’un, préfèrent le couple grec ἀδελφόϛ/ ἀδελφή ( adelphos/adelphè) au latin frater/soror, c’est un point de vue comme un autre, encore que ce chamboule­ment nouveau d’usages millénaires ne soit pas près d’entrer dans les mœurs, si l’on en juge par l’ignorance de tant de “francophones” à l’égard des richesses du français ! Je rappelle en effet que l’on situe à 1080 l’apparition de frère et soer, alors en deux syllabes, devenu sœur vers 1550. Et alors que personne ne dit que sœur est le féminin de frère, ni celui-ci le masculin de sœur, tout helléniste dira que ἀδελφή est le féminin de ἀδελφόϛ, et aucun que ἀδελφόϛ est le maculin de ἀδελφή, car ici encore le masculin est premier !

Mais surtout, le mot *adelphité qui accouple un radical grec et une finale latine dénonce l’ignorance, ou la sottise, la *kysthosyne[1]de ses inventeurs.

Si l’on voulait absolument remplacer la « fraternité » par un dérivé de ἀδελφόϛ, je conseillerais de regarder ce que faisaient le Grecs eux-mêmes. Voici donc tous les mots abstraits que nous offre le fameux Dictionnaire Bailly :

ἀδέλφιξιϛ,ιοϛ (ἡ) [ᾰ] ion[ien].fraternité, fig. affinité, étroite analogie […].

ἀδελφότηϛ,ητοϛ (ἡ) [ᾰ] 1réunion de frères, N[ouveau] T[estament]. 1 Petr. 2,17|| 2affection fraternelle, Spt. [Bible, Traduction des Septante] 1 Macc.. 12,10[…]

φιλαδελφία, αϛ (ἡ) amitié pour un frère ouune sœur, Luc. D. deor. [Lucien, Dialogue des dieux]26,2 ; Babr. [Babrius, fabuliste romain de langue grecque] 47, 15, etc ; (φιλάδελφοϛ).

φιλ·άδελφοϛ, οϛ, ον [ῐᾰ] 1qui aime ses frères ousœurs […] ; tὸ φιλάδελφον, DS. [Diodore de Sicile] 17, 34, amour fraternel[…]

À l’évidence, c’est φιλαδελφία  qui est le plus facile à adapter en français : philadelphie ; certes, les dictionnaires les plus en vue l’ignorent, mais le “Wictionnaire” l’a retenu, et en donne une attestation chez un auteur français :

« Étymologie : Du grec ancien φιλαδελφία, philadelphía, « amour pour un frère ou une sœur ».

« Nom commun – fémininAmour fraternel ou sororel.

« Elle comprend la bonté et la bénignité, la philadelphie ; elle entraîne une parfaite sympathie : elle commande la paix et l’unité et elle exclut divisions querelles et inimitiés. (Joseph Bonsirven [Père jésuite, 1880-1958], Théologie du Nouveau Testament, 1951) »

Mais lorsque les promoteurs d’ἀδελφόϛ/ἀδελφή auront pris conscience de l’importance des écrits religieux dans l’emploi des mots de cete famille… et de leur justification par la paternité divine, un sursaut laïciste leur fera sans doute abandonner leur idée.

[1]kysthosyneest mon invention à moi, pour helléniser la connerie : puisque con est le nom vulgaire du vagin, comme son ancêtre latin cunnus, j’accole le suffixe σύνη au mot κύσθος qui en est le correspondant grec, de même que la σωφροσύνη, « état sain de l’esprit oudu cœur » dérive de σώφρων, « sain d’esprit oude cœur » et que Mnémosyneest la déesse de la mémoire.

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12 Commentaires

  1. Le mot  » Fraternité  » les dérange en haut lieu, pourquoi ?
    Ne faudrait-il pas chercher du côté de l’islam, où ils ont l’habitude de s’appeler  » frère » ou « mon frère »

  2. Quelle brillante démonstration !
    Et pan ! prends-toi ça dans les dents, l’ignare qui a voulu créer ce néologisme sans posséder les bases qui lui aurait permis de faire un joli mot,
    encore un qui étale sa confiture et a voulu  » péter plus haut que son cul « ,
    pas un pour rattraper l’autre dans cette bande d’incultes qui veulent toujours se pousser plus haut,
    merci Jean Lafitte de nous éclairer sur ce néologisme barbare

  3. Quel bonheur de lire ceux qui nous instruisent, et par là, qui témoignent de la valeur de la culture et de son potentiel de fraternité!

  4. Ainsi (et non pas « mais) la dimension interprétative au niveau du Savoir restera toujours complexe voire aléatoire car toujours remise en question.

  5. Intéressante analyse sémiologique certes mais il reste important d’avoir à l’esprit de ne pas confondre signifiant et signifié.
    Ainsi, les contextes sociaux, historiques, culturels… etc… évoqués sont différents voire incomparables.
    Finalement, il est vrai, on s’aperçoit que ceux qui ont sorti pareille ineptie jouent un peu à l’alchimiste, sans la connaissance voulue….
    Certes, peu de gens ont lu le dictionnaire Bailly, mais tellement de livres n’ont pas été lus, y compris par ceux qui ont lu le Bailly bien évidemment puisqu’on lit selon ses propres intérêts (aspect psychologique qu’il ne faut pas oublier)… mais la dimension interprétative au niveau du Savoir restera toujours complexe voire aléatoire car toujours remise en question.
    Le contexte qui donne vie au signifiant est essentiel pour comprendre le sens véritable attribué,on l’oublie trop souvent à mon sens et le terme « fraternité » s’il a pris son sens au moment d’une période bien connue de notre Histoire ne devrait pas être modifié au risque d’une déviation du sens premier.

    • « Le contexte qui donne vie au signifiant est essentiel pour comprendre le sens véritable attribué,on l’oublie trop souvent à mon sens »
      Ce qui explique cette sorte de « chosification » des mots pris à la lettre actuellement qui produisent les incroyables procès qui encombrent les prétoires.

    • Bonjour,
      Je n’ai jamais fait de grec, à mon grand désespoir.
      Je me suis soigné, comme je pouvais, en récupérant le « Bailly » de mon défunt père.

      • Oui le Grec au niveau linguistique doit être très intéressant, je n’ai pas pratiqué non plus.
        Pour ma part cependant, j’ai été passionnée par la Grèce Antique et sa Mythologie avec tout ce qu’elle nous apprend de l’Humain.

  6. merci a Jean Lafitte pour ce sympathique et brillant cours magistral
    comme on savait les donner en Sorbonne il y a 60 ans dans des Amphis pas encore galvaudés

  7. Belle réflexion, mais 99% de la population n’ayant jamais ouvert le dictionnaire Bailly, l’adelphité comme la philadelphie vont avoir du mal à se faire une place dans les cerveaux français. La plupart des gens seront incapables de se souvenir du mot et davantage encore de le comprendre.
    A moins qu’il s’agisse de faire un rapprochement avec la ville américaine de Philadelphie et de signifier que la philadelphie, c’est la fraternité mondialisée, la fraternité dans une France américanisée.
    Comme la proportion de gogos est sans doute pas loin d’être aussi importante que celle de ceux qui n’ont jamais ouvert le dictionnaire Bailly, ça pourrait marcher. Il suffit souvent d’un vernis anglo-saxon pour rendre une idée populaire.
    Vue sous cet angle, la notion coïnciderait davantage avec la législation ordinaire qui ne réserve plus la fraternité aux citoyens. La fraternité est d’ores et déjà mise au service d’un projet mondialiste malgré les textes constitutionnels.

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