2020. Le guichet du bureau de poste de Trifouillis les Oies.
Vous avez fait la queue un petit quart d’heure. C’est votre tour. Vous voulez envoyer un colis en Chronopost. La préposée vous pose une question. Du moins vous présumez qu’elle vous pose une question parce que vous ne comprenez pas la langue qu’elle parle. Vous avez simplement remarqué qu’elle a haussé le ton à la fin de la phrase et qu’elle vous regarde avec des yeux… interrogateurs. Vous avez dû mal entendre, alors vous reposez la question. Français? vous dit la préposée l’air peu aimable mais bon ça, l’air peu aimable, vous aviez déjà l’habitude. Oui, oui, Français. La préposée abandonne son poste pendant que derrière vous la file s’allonge et que se font entendre de plus en plus audibles ce qui ressemble bien à des injures. On n’en a pas beaucoup dit la préposée en vous tendant un imprimé, comme c’est pas les plus demandés. Et devant votre air ahuri, elle précise: les formulaires en Français. C’est pas beaucoup demandé. Vous vous dépêchez de le remplir parce que derrière vous le ton monte et vous partez. Vous n’avez pas osé dire : Au revoir, ou Bonne journée parce que ça, c’était avant, vous venez tout d’un coup de le comprendre.
D’ailleurs, vous vous souvenez soudain que, pas plus tard qu’hier, vous avez eu du mal à faire réviser sa leçon d’ouverture sur la diversité du monde à votre fille de 8 ans qui devait apprendre un poème en bambara, wolof, arabe dialectal, amazigh, vous ne savez plus bien, c’était compliqué. Et les tables de multiplication en kurde parce que la table de multiplication c’est un excellent moyen mnémotechnique, ça a été difficile aussi. Même pour votre fils aîné qui de plus en plus souvent s’exclame devant les devoirs de sa petite sœur: je sais pas, c’était pas comme ça quand j’étais en primaire.
Vous remarquez de nouveau quelque chose à laquelle vous vous étiez habitué, vous qui habitez quelque part dans le 93 (Pour les ignorants, Trifouillis les Oies, ou plus exactement Trifouillis les Oies sur Seine, c’est dans le 93). Vous remarquez donc que les noms de rue, les plaques de voiture sont en Français et Arabe, assez souvent en Arabe uniquement et ça vous embête bien parce que vous devez faire une course dans un quartier que vous ne connaissez pas et là avec les panneaux en Arabe uniquement, vous avez du mal.
Et vous vous mettez à penser que du temps où le Français était la seule langue ayant statut officiel en France, c’était tout de même plus pratique. Et aussi moins coûteux : tous ces formulaires, toutes ces plaques, tous ces enseignements dans des langues dont vous ignoriez l’existence jusqu’à une date récente! Vous n’avez rien contre. Chaque langue a ses richesses, sa façon de décrire le réel, sa vision du monde, sa manière d’envisager la pensée abstraite … mais les embrasser toutes dans un même territoire, c’est extrêmement fatigant pour le moins, et au final on n’en sort pas plus enrichi mais plus confus.
Et puis, ça vous le gardez pour vous, vous n’osez même pas vous l’avouer, c’est là quelque part dans un repli du cortex, dans un coin de votre cœur, ça vous donne comme un coup de poignard dans les tripes, mais vous auriez aimé que le français, parce qu’elle est millénaire, parce que c’est celle que vous appeliez autrefois votre langue maternelle, vous auriez bien aimé qu’elle reste et demeure la langue de tous les Français sans différence et sans partage, sans qu’elle ne soit devenue une vulgaire langue parmi d’autres sur le territoire nat… pardon sur l’Hexagone. Pas même la langue majoritaire. De moins en moins, en fait, même à la campagne. Et vous revoyez les images de l’élection de François Ier en 2012, sur une Place de la Bastille toute vibrante de joyeux drapeaux algérien, marocain, sénégalais et autres malien ou camerounais. Vous avez dit François Ier. Vous rectifiez. François Hollande. François Ier, ça vous revient, c’est le roi qui avait fait du français la langue administrative officielle sur tout le territoire, facilitant ainsi la bonne gouvernance du pays, contribuant à une plus grande égalité entre ses provinces, accomplissant une étape majeure vers son unification.
Au fond, les grands déçus, vous dites-vous, ce sont les amoureux du terroir qui croyaient donner un nouveau souffle à leur langue régionale. Hélas, le statut de celles-ci n’a guère bougé et même plutôt régressé. La nouvelle population d’élèves n’a cure du Béarnais ou du Provençal qui du coup restent la langue des papés. Les Indépendantistes en sont également pour leur frais: aucun scientifique n’écrit en Basque, les dictionnaires Breton-Soninké édités par l’Etat restent sur les rayons des bibliothèques municipales, le Catalan n’est parlé qu’en Catalogne et surtout pour narguer Madrid et les Barcelonais regardent de haut ceux de Perpignan qu’ils prennent pour des bouseux et des provinciaux. Les Languedociens s’entre-déchirent dans leurs Académies afin de savoir si l’Occitan véritable est celui de Toulouse ou de Castelnaudary, comme le cassoulet, ce qui bien sûr entrave leur production littéraire puisqu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le lexique et sur la grammaire. Les Corses chantent toujours divinement mais on attend encore leur barde planétaire. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’apprend plus le français dans le monde et en France … de moins en moins.
La nouvelle carte de l’Europe dans le manuel d’Instruction à la Citoyenneté et à la Diversité de votre cadette ressemble, réalisez-vous maintenant, à la carte de la France médiévale de votre livre d’Histoire, divisée et morcelée en fiefs, vicomtés, et autres baronnies déchirés en guerres incessantes les uns contre les autres.
Le rapport sur l’intégration, affiché sur le site de Matignon jusqu’à ce qu’un journal ne le porte sur la place publique, n’est pas du tout enterré. Ce mois-ci, va se débattre le statut des langues régionales et minoritaires. Dieu a divisé les hommes qui construisaient la tour de Babel. Avec le statut des langues régionales et minoritaires, l’Union Européenne fait délibérément de même.
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Les parlers régionaux de France sont une richesse culturelle qui mérite d’être protégée et préservée. Il n’y a pas de honte à s’exprimer avec un accent.
Moi, je m’exprime dans mon dialecte et je parle avec l’accent de ma région. Cela fait partie de ma culture et mon identité. Jamais je ne parlerai comme les Paraisiens.
Malgré cela, du Nord au Midi il n’y a qu’une langue commune et c’est le Français! C’est cette langue qui a fait de la France un grand pays. Ce n’est ni réaliste, ni pratique d’accorder une place égale au français à des dialectes, et complètement stupide de faire de même pour des langues étrangères.
Il ne devrait pas y avoir aucun compromis là-dessus. En France, c’est en français ou bien rien du tout!
Oui tout cela est du bonsens mais il semble que le bon sens soit la chose du monde la moins bien partagée….
Eh oui, malheureusement. C’est à se demander ce qu’il faudrait aux Français pour qu’ils comprennent. C’est aberrant de constater que le français est plus défendu par des communautés francophones en dehors de France qu’en France.
Je pense au Québec par exemple. Là-bas ils ont défendu et protégé le français malgré tout. Il y a même des lois qui assurent que le français soit la seule langue dans les entreprises et les commerces. Peut-être qu’en France le besoin de défendre la langue se fait moins sentir.
Elle a surtout raté l’occasion, en 2002, de remettre les pendules à l’heure !
Je suis sûre que les trois quarts des personnes qui animent des sites patriotes ont voté Chirac ou se sont abstenus ce fameux jour !
Bonjour ! très beau billet vers le futur … Mais celà existe déjà dans le 13ème à Paris j’ai été consterné par le nombre de panneaux écrits en chinois dans les commerces et meme à la Poste !
La France a raté tous ses grands rendez-vous avec l’Histoire.
Avec Charles Martel, la chance de parler arabe. Avec Jeanne-d’Arc, de parler anglais et pour finir, avec De Gaulle de parler allemand.
Avec Hollande elle retrouve le sens de l’Histoire.
C’est lapidaire mais bien vu en effet cher Maxime !