Entretien avec Albert Salon, ancien ambassadeur et vigoureux défenseur du français et de la Francophonie

 

Riposte laïque : Albert Salon, pouvez-vous en quelques mots nous dire comment et pourquoi l’ancien élève de l’école normale primaire que vous êtes  a très peu enseigné, mais s’est retrouvé conseiller culturel et scientifique et ambassadeur, et a passé sa vie à promouvoir la francophonie ?

Albert Salon : Simple itinéraire presque classique du petit pauvre qui monte, qui monte… dans ce qui fut l’excellent ascenseur social de la République, qu’une certaine droite et une gauche égoïste, bête et méchante, conjuguent depuis des décennies leurs efforts pour démolir… L’Ecole normale gratuite pour passer le bac, l’université gratuite, les bourses, encore les bourses, la rémunération d’Etat quand on est élève de l’ENA. Mais surtout l’élan puissant donné dans les débuts, par l’amour d’une mère admirable, seule, auto-sacrifiée dans les grandes profondeurs du peuple comme le furent les mères de Péguy, de Camus, de Guaino.

Riposte laïque : Vous  venez de publier Une volonté française, un hymne à la France, à ses racines et surtout à sa langue.  Pourriez-vous, en quelques traits, dessiner le visage de cette  France que vous aimez et nous donner ses principales caractéristiques  ?

Albert Salon : Une Mère et une madone secourable, le visage de la pitié et de l’humanisme, qu’il ne faut pas laisser déformer dans des rictus de repentance convenue et de xénophilie au détriment de ses propres enfants. La France de toutes ses familles spirituelles, de la Royauté, de l’Empire, de la République, et de « la Sociale ». La France de la grande querelle de l’homme. Qui est vraiment grande quand elle l’est moins pour elle-même que pour le genre humain. A qui beaucoup de Français – et d’étrangers d’un peu partout, y compris des anciennes colonies – ont une inextinguible envie de rendre ce qu’ils ont reçu d’elle, en dépit de toutes les fautes, souvent graves, qu’elle a pu commettre dans sa bouleversante histoire.

Riposte laïque : Vous consacrez un chapitre de votre livre, qui est une espèce de dictionnaire “folamoureux” de tous les aspects, positifs ou négatifs, de la France, à la laïcité, “un des traits originaux de la France” selon vous.  Pourriez-vous donner votre définition de la laïcité et nous expliquer pourquoi, selon vous, elle est menacée par des religions venues d’ailleurs, à tendances communautaristes, et notamment par l’islam ?

Albert Salon : Enfant de chœur de village, élevé par une mère à la foi de charbonnier, puis plongé de 15 ans à 19 ans dans l’internat – monde clos et plutôt laïcard – de l’école normale primaire, puis agnostique familier d’autres cultures que la nôtre, j’ai tiré de tout cela une idée équilibrée de la laïcité : très française, très « Lumières », mais n’allant pas jusqu’à l’ « Ecrasez l’infâme ! » de Voltaire. En tout cas pas de nos jours. Notre laïcité, pour mieux correspondre à son splendide idéal, doit aujourd’hui se débarrasser au plus vite de sa vieille haine de « la calotte ». Habituée au 19ème siècle – alors laïciste anti-cléricale – à s’allier aux protestants et aux israélites, notamment pour faire la belle école publique obligatoire, puis les moins belles expulsions des congrégations, elle a vu arriver l’islam comme une sorte de nouvel allié naturel. D’où la tendance aux « accommodements raisonnables » et au démantèlement au profit du seul islam de la loi de 1905 à laquelle il fallait – et il faut – se garder de toucher. Il est temps que tous les républicains et les laïques sincères reviennent à la raison dans ce domaine, se rendent compte de ce que l’islamisme militant totalitariste s’est déjà mu en une redoutable entreprise politique de conquête et d’asservissement, et entrent en résistance contre lui. L’islam n’est peut-être pas le nouvel infâme ; l’islamisme militant l’est. Il n’est plus très intelligent de détruire des églises chrétiennes, s’il le fut jamais.

Riposte laïque : En effet, Une volonté française est également un cri d’alarme. La France est menacée sur tous les fronts, et vous énumérez à l’envi les dangers qui nous menacent, “mondialisme,  communautarisme, décadence et déclinisme…”.  Quel rôle Bruxelles et l’impérialisme américain que vous appelez l’Empire jouent-ils, selon vous, dans la disparition de la France ? 

Albert Salon : Laissez moi d’abord clamer que mon livre est bien loin d’être seulement un cri d’alarme, et qu’il contient, presque à chacune de ses 100 entrées des voies de redressement, des pistes et propositions de politique de renouveau, des allées vers une nouvelle grandeur adaptée à ce que nous sommes dans le monde actuel, avec nos faiblesses, mais aussi nos immenses atouts trop négligés.

Ensuite, je distingue très nettement entre « mondialisation », phénomène neutre en soi, et « mondialisme », qui est la captation par le plus fort du moment – aujourd’hui l’Empire anglo-saxon, en attendant le suivant – de la mondialisation, pour ses besoins de domination mondiale. C’est le mondialisme qui est l’ennemi.

L’Empire anglo-saxon-germain, très souvent notre allié bienvenu, a en même temps toujours été notre ennemi principal. Cela dure depuis des siècles, et ne change pas. La France reste, aux yeux de l’Empire, le principal concurrent en universalisme, en conception de l’homme, en prestige spirituel et culturel, en modèle social, comme en grands intérêts culturels, linguistiques, économiques, et de rivalité de grandes entreprises. Déjà avant les Bush et Condoleeza Rice de la guerre d’Irak, aux Etats-Unis,  on pensait : « Il faut punir la France ». Le monstre UE relaye l’Empire, en rouleau compresseur pour nous écraser, comme on le voit – enfin ! – de plus en plus clairement aujourd’hui.

 Riposte laïque : Vous affirmez notamment que l’Union européenne travaille à la disparition des Etats-nations pour faire des régions sur critères ethniques. Pourriez-vous développer pour nos lecteurs, vous qui connaissez bien l’Allemagne dont vous parlez la langue ? Pourquoi a-t-elle une “politique ethnique” qui la sert, et en quoi rejoint-elle celle de l’Union Européenne ?

Albert Salon : Contrairement à presque tous ses voisins, nations-Etats encore solides, mais de sangs et santons divers comme l’est la France, ou Etats non-nations comme le sont l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Canada, la Fédération de Russie, etc. l’Allemagne fait partie, avec le Portugal, la Suède, les Pays-Bas, d’un groupe de nations ethniquement totalement ou presque totalement homogènes. L’Allemagne ne risque pas d’éclatement pour des raisons ethniques. Elle n’a jamais perdu de vue l’intérêt, pour affirmer sa puissance et sa prépondérance, de se servir chez les autres du levier ethnique pour les affaiblir, sans craindre d’effet boomerang chez elle. Même objectif du côté du monstre UE qui veut casser les grands Etats, surtout l’Etat–Nation encore solide et très gênant qu’est la France, pour régner commodément sur de simples régions. Les deux démarches se rejoignent fort bien. L’UE qui fut plus proche des conceptions et de la langue françaises à ses débuts, est aujourd’hui pilotée par l’Empire et sa Super-classe, et par la Grande-Bretagne et l’Allemagne. L’Allemagne, divergeant ici de la GB, est à l’origine et au développement du Comité des Régions d’Europe, des coopérations transfrontalières (surtout avec des régions françaises, belges, italiennes), de la Charte des minorités ethniques, et de la Charte des langues régionales et minoritaires. Elle a fait circuler à Bruxelles et par Bruxelles une carte des minorités (ethniques !) en Europe qui reprend exactement la carte diffusée par les nazis en 1942. En outre, des associations allemandes et autrichiennes très actives, subventionnées presque ouvertement par des Länder, « travaillent » activement depuis des décennies les minorités « germaniques » voisines : dans l’Alto-Adige (Süd-Tirol), dans les cantons belges d’Eupen et St Vith, au sud du Danemark, et dans l’emblématique Alsace-Moselle. Je tire la sonnette à ce sujet dans mon livre (entrées Allemagne et Alsace). Nos élites font, là aussi, la politique de l’autruche.

Riposte laïque : Vous consacrez quelques pages de votre ouvrage aux langues minoritaires et régionales. Pouvez-vous préciser ici votre vision des choses ? Etes-vous favorable à la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? 

Albert Salon : En France comme ailleurs, les langues régionales, enracinées (non pas les langues minoritaires importées), sont une richesse à cultiver. Elles font partie et du patrimoine et de l’âme de notre pays. En outre, on ne peut, en bonne logique, lutter comme nous le faisons pour la diversité linguistique et culturelle du monde, contre une planète de consommateurs homogénéisés – en globish – de produits standardisés du Connemara au Kamchatka, et de l’Alaska jusqu’à Ushuaïa,  et refuser de défendre nos langues régio-nationales. Avec beaucoup de militants de la langue française, nous avons élaboré une position claire à leur égard : liberté de les transmettre et enseigner, y compris dans l’enseignement public, avec des crédits publics ; mais avec deux butoirs : 1) pas de statut de langue officielle sur le territoire de la République, 2) ni de langue véhiculaire principale de l’enseignement dans les établissements publics ou bénéficiant de fonds publics.

Il me semble que tous les républicains nationaux se doivent de s’opposer avec la plus grande vigueur à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires importées. Ce serait œuvrer au démantèlement de l’Etat-Nation français que nous avons mis tant de siècles à bâtir.

Riposte laïque : Vous prônez une Résistance linguistico-culturelle. Quelles solutions préconisez-vous pour échapper au destin qui nous guette ?

Albert Salon : D’abord recouvrer la souveraineté. Sortir de l’euro et de l’UE faits pour nous aligner, nous réduire au lit de Procuste, nous imposer l’anglais. Retrouver une politique linguistique d’Etat en France pour le français et la diversité d’enseignement des langues étrangères, en évitant de commencer par l’anglais à l’école (Claude Hagège). Jouer à fond la solidarité entre pays de la Francité (pays de langue maternelle française), notamment en prônant l’indépendance du Québec, et entre tous les 75 membres de la Francophonie organisée sur le plan mondial, notamment en y consacrant une bien plus grande part de notre aide publique au développement. Redonner une âme française au gouvernement, particulièrement au Quai d’Orsay, pour réactiver, épanouir, ce qui reste de nos splendides réseaux et établissements culturels français à l’étranger.

Riposte laïque : Une volonté française examine un grand nombre de sujets plus sérieux ou politiques les uns que les autres, comme “culture”, “démocratie”, “Gaulois et souchiens”, “grands hommes”, “Liban”, “patrie” ou “universalité” mais se termine par “vin”, avec les premières phrases d’une chanson Buvons un coup, buvons en deux, A la santé du Roi de France; Et m…au Roi d’Angleterre, Qui nous a déclaré la guerre !”  Pourquoi avoir choisi de terminer votre ouvrage par l’évocation du vin et surtout par cette citation ?

 

Albert Salon : Pour vous faire plaisir, je pourrais vous répondre que je pensais à vous « les bleus », et aux excellents blancs et rouges de France que vous aimez comme moi, grâce auxquels – comme dans votre astucieux « Bobo Jocelyn » – vous fûtes 3.000 en arrivant au porc. Je plaisante. Mais je n’ai pas trouvé de centième entrée caractéristique de la France que nous voulons au-delà de v.i.n. dans l’ordre alphabétique. Plus sérieusement encore, qu’y a-t-il de plus gréco-latin et gaulois à la fois que la civilisation du vin, que le grand Allemand, héros de 14-18 et distingué écrivain Ernst Jünger, dans Sur les falaises de marbre, appelle en 1941 la « marina » méditerranéenne. Il l’oppose à la civilisation de la bière de la forêt germanique (mythique aujourd’hui) où régna, un temps trop long, le « Oberförster », « forestier en chef » Adolf Hitler.

La citation de cette fameuse chanson des marins de Surcouf ? Une aubade-aubaine pour hurler le défi à lancer par notre civilisation aux empires qui veulent nous étouffer, nous rayer des cartes terrestres et maritimes. Rappelez-vous Bernanos : « La France contre les robots » !

 Propos recueillis par Christine Tasin

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