Je souhaiterais apporter quelques compléments à l’article de Sandrine, qui donne des pistes de réflexion très intéressantes.
(NDLR : Vous pouvez, en complément de l’article de Sandrine et de celui-ci également télécharger ici un document plus long et plus complet sur le sujet, établi par Maxime, utilisable pour contrer les baux emphytéotiques offerts par les municipalités aux associations faisant construire des mosquées. Pour-lutter-contre-les-baux-mphytéotiques-accordes-aux- mosquees ).
A mon avis, il y a derrière le bail emphytéotique cultuel (BEA) une forme d’hypocrisie.
D’abord, le bail emphytéotique est normalement un bail rural. C’est ainsi depuis la Grèce ancienne. C’est l’un des très rares outils juridiques de droit privé que le droit romain a récupéré (le droit privé était le talon d’Achille de la Grèce ancienne) car c’est effectivement une très bonne technique, mais dont l’usage peut être dévoyé.
En faire un bail administratif peut avoir du sens, mais à condition que les locaux construits soient neutres, c’est-à-dire qu’à l’issue du bail, ils puissent être récupérés en tant que tels par le bailleur, donc la collectivité qui en fournit la jouissance.
Le BEA cultuel n’est pas un bail en réalité, puisque l’obligation de restitution typique d’un bail n’aura généralement aucune substance. Le neutralité du service public à l’égard des religions empêche en effet d’utiliser un local qui garde une trace d’un usage religieux, sauf à réaliser d’importants travaux qui, selon les règles du bail emphytéotique, seraient alors à la charge du bailleur (par exemple, transformer une mosquée en école). Pour qu’il en aille autrement, il faudrait que l’association cultuelle locataire prenne l’engagement de financer ces travaux: est-ce le cas actuellement ? Je n’en sais rien. La clause sera-t-elle effectivement appliquée dans 99 ans ? Car ce bail est à long terme (au moins 18 ans) et que sait-on de ce que sera la France à l’issue du bail? Y aura-t-il encore des gens pour réclamer l’application de la clause ?
Cet argument de bon sens n’a jamais été soulevé devant les quelques juridictions saisies de litiges en contestation de la validité de BEA cultuels et c’est dommage. Les requérants se sont jetés sur l’argument de la constitutionnalité et se sont cassé les dents parce que c’est un terrain glissant juridiquement.
En réalité, de telles conventions sont des ventes lésionnaires ou à vil prix, annulables en justice à mon avis (je ne garantis pas le succès de l’argument devant des juridictions, mais, juridiquement, cela me semble se tenir), ou des subventions (donations), qui ne tombent cependant pas forcément sous le coup d’un grief d’inconstitutionnalité… car la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat n’a pas été reconnue comme faisant partie du bloc de constitutionnalité, malgré une décision du Conseil constitutionnel de 2013 qui a été un peu trop vite interprétée en ce sens.
Cela a permis aux juges de dire que la loi de 2009 ratifiant l’ordonnance qui institue le BEA cultuel déroge à celle de 1905. Cette position est celle d’un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat (donc très importante) du 19 juillet 2011, qui confirme la décision de la CAA de Versailles que vous évoquez.
L’arrêt le plus récent que j’ai trouvé sur la question est celui de la CAA de Marseille du 20 décembre 2011, qui fait application de cette jurisprudence du Conseil d’Etat.
Il semble donc que, depuis au moins 4 ans, plus personne ne conteste en justice la conclusion de BEA cultuels par des municipalités parce que la jurisprudence est très défavorable à de telles contestations.
Faire annuler le bail faute d’intérêt pour le bailleur, ou le faire requalifier en vente dépourvue de prix sérieux me semble être aujourd’hui une voie à explorer…
Maxime
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@Maxime
Désolée, je n’avais pas vu votre commentaire du 30 juin à 16 h 27. Désolée d’avoir enterré en termes un peu violents la théorie de la cause…
Oui, j’ai haï la théorie de la cause, en seconde année de droit. On disait je crois, que la cause de l’un était l’obligation de l’autre et vice-versa. ( ne pas confondre avec le contrat synallagmatique …) Bonne idée de clarifier par la notion d’intérêt. Mais non, je ne pensais pas au problème de la destination religieuse passée des lieux lors de la restitution. Il me semble qu’on doit pouvoir remédier facilement à cela (comme pour les églises désacralisées). Je pensais plus globalement que récupérer un tel édifice n’est pas simple. Quid des volumes ? Du possible minaret ? Comment utiliser ces lieux ? en quel état seront-ils après 99 ans ? Mais surtout, les musulmans accepteraient-ils la restitution pacifiquement ?…
Mais il est exact que la restitution des lieux est un « moteur » important pour le bailleur. S’il n’y a pas de restitution, il est floué, parce que vous avez raison, la restitution est la cause du contrat. Mais mettre en place la restitution dès la conclusion du contrat est peut-être une piste, susceptible de freiner les appétits des musulmans ?…
J’ai enseigné le droit moi aussi, brièvement, en BTS…j’ai bien aimé le droit des contrats et celui de la responsabilité mais cela commence à être loin pour moi.
Merci à vous deux pour ce débat et ces informations plus qu’importantes !
Bonjour,
excusez-moi pour la réponse tardive (je ne reçois pas de notification en cas de commentaire; j’imagine que les flux RSS doivent permettre de gérer cela, mais je ne sais pas faire!).
Je pense que vous avez dégagé l’argument le plus important et en même temps le plus désespérant, parce qu’il n’y a rien à faire juridiquement sur ce point: la restitution se fera-t-elle de façon pacifique ?
Dire aujourd’hui « non » serait faire un procès d’intention et pourrait nous valoir un procès…
C’est évidemment une donnée extra juridique impossible à faire valoir devant les tribunaux. La seule façon de faire serait de s’appuyer sur des textes sacrés qui comporteraient l’idée qu’une mosquée appartient éternellement à Dieu. Il faudrait voir si les autres religions développent la même idée aussi, puisqu’elles peuvent être concernées par les baux emphytéotique de la même façon. Je suis dans ce domaine incompétent mais j’imagine que d’autres contributeurs en savent davantage.
Le débat est très vaste et je crois que cela confirme encore une fois toute la malignité qu’il y a à avoir utilisé un bail à long terme au lieu d’une vente ou d’une donation. Il faut faire pression sur les municipalités pour qu’elles n’utilisent pas cet instrument proposé par la loi, car elles restent encore libres de vendre un terrain, par exemple, et c’est la solution la plus saine si je puis dire.
Je pense, Maxime que lorsque vous postez un commentaire une fenêtre s’ouvre vous demandant si vous voulez être prévenu en cas de novueau commentaire ou d’article il faut juste cocher…
Oups !… Pas de chance avec moi sur la théorie de la cause, Maxime, un prof de droit québecois m’ayant démontré, pour ma plus grande satisfaction, que cette théorie était inutile et ne servait à rien d’autre qu’à délayer et enfler le cours des profs de droit prétentieux des « maudits français » …! Je pense de même.
Certainement vente à vil prix ou subvention de culte ça devrait marcher, je dis « devrait » seulement, car vu l’état de la justice on peut se faire du bien souci et une telle argumentation est appelée à rencontrer l’opposition des dhimmis et autres collabos…
Pardon, j’ai fait un lapsus : ce n’est pas abus de pouvoir mais excès de pouvoir ! Recours pour excès de pouvoir. Le soleil a dû me taper sur la tête un peu trop fort…
Si l’on ne s’intéresse qu’à la mise à disposition, le bail est juridiquement régulier puisque le bailleur est rémunéré par le canon, modique (par définition) et l’acquisition des constructions à la fin du bail, accompagnant la restitution du terrain. L’idée est montrer que l’acquisition de l’édifice construit n’a aucun intérêt, alors que le canon est trop dérisoire pour constituer une rémunération suffisante. Cette rémunération insuffisante permet l’annulation du bail sur plusieurs fondements (défaut de cause – j’ai expliqué le concept brièvement – vente lésionnaire ou à vil prix, subvention d’un culte).
@Maxime
N’oublions pas qu’ici on est en droit administratif…il faudra donc utiliser la notion d’abus de pouvoir me semble-t-il.
L’avocat (j’ai exercé ce métier) choisit librement sa ligne d’argumentation, comme il la sent. C’est très personnel.
La notion d’utilisation d’un édifice récupéré présentant l’appartenance à une religion ne me paraît pas pertinente. Cela n’a pas vraiment d’importance du moment qu’il aurait été abandonné par les utilisateurs. Quelques travaux et cela disparaitrait. Il vaut mieux selon moi agir en amont, au moment de la mise à disposition du terrain.
Discussion très intéressante, qui donne pas mal d’arguments, merci Sandrine
Bonjour,
je me suis intéressé à la question de la restitution à partir de votre remarque sur ce point. Vous vous demandiez quel est l’intérêt de récupérer une mosquée et vous faisiez remarquer que des musulmans (si l’on raisonne sur la religion musulmane, qui est sans doute la plus concernée par ces BEA – encore une fois, j’ignore les statistiques) accepteraient de rendre une mosquée et qu’elle soit « neutralisée » par le bailleur. Donc c’est bien l’obligation de restitution qui pose problème, mais cet argument doit être soulevé dès la conclusion du bail car cela agit sur une condition de validité du bail. Il s’agit du concept de cause – si vous avez été avocate, je parie que c’est l’un de ceux que vous avez le plus détesté dans vos études de droit. C’est un concept que généralement, les étudiants en droit ne comprennent pas (et je sais de quoi je parle sur ce point pour en avoir depuis quelques années et me tuer à leur expliquer ce que c’est). La cause est une notion utilisée en droit administratif. Il est question actuellement, pour clarifier ce concept, de le remplacer par celui d’intérêt. L’idée est qu’on ne s’engage pas sans cause, donc sans raison, sans trouver un intérêt à l’obligation que l’on souscrit. De ce point de vue, je ne sais pas si les travaux à réaliser seraient si légers: il faudrait vraiment supprimer tout élément architectural rappelant d’une façon où d’une autre la destination passée des lieux. N’était-ce pas ce à quoi vous songiez ? Je ne sais pas si les BEA sont utilisés pour des grands projets autant que pour des projets de moindre importance éventuellement. Il serait intéressant d’en savoir plus sur la pratique effective de ces baux, en examinant les conventions conclues: obligent-elles le locataire à remettre les lieux en état à ses frais, par exemple ?
il faut bien sûr lire « n’accepteraient pas » au lieu de « accepteraient ».
Bonjour,
merci Sandrine pour votre réaction.
Ce que je voulais mettre en évidence, c’est comment on peut juridiquement aboutir à une annulation en faisant valoir que les deniers publics sont utilisés de façon contestable, au détriment d’une collectivité, s’il apparaît que cette dernière n’aura aucun intérêt à récupérer l’édifice que le locataire, association cultuelle, construit. Bien sûr l’article est difficile à lire quand on n’a pas les connaissances juridiques nécessaires pour le lire. Mais un avocat comprendra cette argumentation pour ceux qui voudraient mener de telles actions. C’était le but de mon article.
Fondamentalement, c’est quand même de la laïcité, principe constitutionnel, qu’il est question. Si l’édifice récupéré présente l’appartenance à une religion, c’est bien que la collectivité qui le réutiliserait tel quel manque à sa neutralité. La laïcité ce n’est donc pas seulement traiter toutes les religions de la même façon, comme le dit l’arrêt du Conseil d’Etat de 2011, c’est aussi le fait que les collectivités ne doivent dans leurs locaux présenter aucun signe religieux émanant d’elles. On peut donc penser que l’absence de reconnaissance des cultes par les collectivités devrait être un principe constitutionnel. Dès lors, le BEA cultuel sera généralement contraire à la Constitution.
Le bail emphyteotique rend et admet pérenne l’ensemble des revendications musulmanes ,avec adaptation du droit …s’entend .En tous les cas pas pour moi!!!
Honte aux élus qui vendent nos valeurs ,us et co^tumes au mépris des dispositions légales en vigueur.
Je n’ai pas de statistiques sur l’usage fait des BEA cultuels, mais ce sont des bombes à retardement. Utiliser un bail à long terme est un manque de courage de la part des élus, qui n’osent pas dire de front ce qu’ils font. Ils devraient plutôt procéder à une vente en bonne et due forme, avec un prix réel, et s’ils n’en ont pas le courage, assumer publiquement le fait qu’ils bradent un terrain voire le donnent. C’est malheureux de voir que cette technique ancestrale est utilisée pour duper car 99% des gens ne savent pas ce qu’est un bail emphytéotique, alors que la même proportion sait ce qu’est une vente déséquilibrée ou une donation (la première n’étant pas très loin de la seconde; combien de paysans ont dans le passé vendu à l’héritier préféré des terres pour une bouchée de pain? ça, c’est bien dans nos moeurs…).
@Maxime
Bien OK avec vous : le BEA n’est pas un bail, et est donc une hyprocrisie.
L’ancien « bail à construction » sur lequel il est copié, est vidé de son sens.
J’avais vu les arrêts que vous citez, mais ne voulais pas faire un article encore plus long.
Je n’aime pas beaucoup l’expression » bloc de constitutionnalité, » elle me semble inutile, tendancieuse et dangereuse, la loi de 1905 n’est pas dans la constitution mais elle lui est soumise, comme toute loi. La laïcité ne se fonde d’ailleurs pas (ou pas seulement) sur la loi de 1905, mais sur l’article 2 de la constitution de 1958 dit que :
art. 2 de la constitution de 1958 :
» La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
(article dont il serait intéressant de retracer l’histoire, ainsi que du préambule de la constitution de 1946 repris dans celle de 1958)
Par conséquent toutes nos lois doivent être soumises à la laïcité, qui est dans la constitution. Le BEA respecte-t-il cet article 2 ?…
Mais avez-vous lu l’article du salon beige sur le Conseil d’Etat, estimant que le Conseil d’Etat n’est plus indépendant du gouvernement et est « aux ordres » ?…Cela explique toute la jurisprudence du Conseil d’Etat…
Oui, il vaut mieux, pour faire annuler de telles décisions, éviter de parler de la constitution, bien que cela soit choquant, et se réfugier dans la notion d’intérêt ou dans celle de vil prix ou de lésion.
Les déclarations récentes de Cazeneuve sur le fait qu’il s’opposera par tout moyen aux maires qui refuseront de construire des mosquées, peuvent nous faire froid dans le dos.