Quand Calmette, le directeur du Figaro, était assassiné par la femme du Ministre des Finances, Caillaux…

ARTICLE DÉDIÉ À RÉSISTANCE RÉPUBLICAINE ET AUX DIRIGEANTS, ET  À TOUS!

QUAND UNE CAMPAGNE DE PRESSE FINIT PAR DES COUPS DE RÉVOLVER, OU L’AFFAIRE CAILLAUX, OU LES TRIBULATIONS D’UN LIVRE.
   Je suis un passionné de vieux bouquins. Lors de mes rares sorties, je passe toujours chez le brocanteur du coin. Tout du moins jusqu’à l’arrivée de cette crise COVID. Il vient de réouvrir. Chez lui,  il ne faut pas compter trouver les derniers romans ou essais en vogue, mais de vieux ouvrages d’Anatole France, Gide, Bernanos, ou de bien d’autres auteurs oubliés de nos jours. Ce monsieur, sympathique par ailleurs, n’est pas un amateur de livres anciens, vu la façon dont il les range. À la billebaude. Il ne doit pas les ouvrir, puisque parfois je tombe sur de véritables pépites : des volumes dédicacés par leurs auteurs. Je ne me plains pas de la désinvolture du vendeur,  car ces livres m’ont été cédés à vil prix. C’est ainsi que j’ai acquis un roman de René Bazin, le grand-oncle d’Hervé Bazin,  auteur de Vipère au poing. Le titre, Le Blé qui lève. C’est une édition originale. Éditeur, Calmann-Lévy, en 1907. Quelle ne fut pas ma surprise  de constater que René Bazin avait dédicacé son ouvrage à un certain Gaston Calmette, directeur du journal Le Figaro de 1902 à 1914. Lequel Gaston Calmette mourut à cette même date, assassiné par l’épouse de Joseph Caillaux, Henriette.Lorsque je contemple la dédicace de Bazin je ne peux m’empêcher d’être ému. Ce livre devait peut-être trôner sur les rayons de la bibliothèque de Calmette au Figaro, peut-être a-t-il été le témoin silencieux  de l’assassinat  de son propriétaire? Que de tribulations a dû connaître ce vieux bouquin avant d’atterrir chez moi. Il aurait pu finir à la poubelle, jeté là par des mains ignorantes.
.
   Qui était Joseph Caillaux? Un homme politique né en 1863 au Mans, décédé à Mamers en 1944. Il fit d’abord partie des républicains modérés, puis rejoignit le parti radical en 1910. Député depuis 1898, plusieurs fois ministre des finances, président du conseil de juin 1911 à janvier 1912. Il a été l’artisan de la convention établissant un compromis avec l’Allemagne en échange d’une liberté de manœuvre des Français au Maroc. Les Allemands obtiennent en échange la cession de territoires français en Afrique centrale. Caillaux va même jusqu’à envisager une politique d’entente avec l’Allemagne et s’oppose avec les socialistes à la loi des trois ans qui rallonge la durée du service militaire.Caillaux est surtout le créateur de l’impôt sur le revenu. Voté par l’assemblée nationale, son texte est en souffrance au sénat. Il envisageait même un impôt sur la fortune. Pacifiste et fiscaliste, il est l’homme le plus haï de France. Son caractère n’arrange rien : imbu de lui-même, hautain, arrogant, il se pavane au bras de ses nombreuses conquêtes féminines. Il a un goût prononcé pour l’argent. Il se décrit comme étant déjà millionnaire à sa naissance! En 1912, il devient président du parti radical, puis ministre des finances dans le gouvernement Doumergue.
   Si les législatives de 1914 lui sont propices, et si les socialistes de Jaurès font alliance, avec promesse de désistements mutuels pour les deux partis, radicaux et socialistes, cette alliance mènerait à la formation d’un gouvernement de gauche qui porterait  des réformes sociales et un pacifisme jugé par certains   dangereux vis à vis de l’ennemi héréditaire, l’Allemagne. C’est l’homme à abattre!
   À l’instigation de Raymond Poincaré et de Louis Barthou, Gaston Calmette entreprend une violente campagne contre Caillaux, et met toute la puissance de son journal pour engager la plus longue campagne de presse jamais organisée contre un homme politique. Il accuse Caillaux d’avoir touché 400 000 francs de l’époque de la part du Comptoir National d’Escompte pour financer sa campagne électorale et d’être intervenu auprès du tribunal correctionnel en faveur d’un escroc nommé Rochette.Calmette annonce même qu’il va publier des correspondances privées de Caillaux à sa maîtresse, Henriette, qui n’était pas encore sa femme, et qui était l’épouse de l’écrivain Léo Claretie. Caillaux était  lui-même marié. Ces correspondances auraient été subtilisées par la femme de chambre des Caillaux. Le 13 mars 1914 Calmette publie une lettre de Caillaux dans laquelle son cynisme se révèle au grand jour. « J’ai écrasé l’impôt, disait-il, en ayant l’air de le défendre. J’ai été acclamé par le centre et par la droite, et pas trop mécontenté la gauche. » La publication d’autres missives enflammées que s’envoyaient les Caillaux alors qu’ils n’étaient encore qu’amants est annoncée pour le 17. Caillaux, rentrant chez lui avec son épouse, confia à cette dernière que puisqu’il n’y avait rien à faire au point de vue judiciaire, il irait casser la gueule à Calmette (sic).
   Henriette décida de tenter une dernière démarche auprès du directeur du Figaro. Mais avant, elle alla faire l’emplette d’un pistolet chez l’armurier Gastinne-Renette, un Browning payé 55 francs. À 17h15, elle arrive au Figaro. Calmette la reçoit au bout d’une heure. Elle tire  six balles. Deux font mouche, dont une fatale qui touche l’artère iliaque. Les employés accourent. Calmette est installé dans un fauteuil en attendant un médecin. Il déclare : « J‘ai  fait mon devoir ; ce  que j’ai fait, je l’ai fait sans haine.» Il succombera sur la table d’opération. Henriette Caillaux est arrêtée et interrogée au commissariat Montmartre, puis transférée à la prison Saint-Lazare. Elle déclara espérer que Calmette n’était pas trop grièvement blessé!
   Elle est jugée quatre mois plus tard. Pour le procès, son époux avait bien préparé le terrain. Il usa de son entregent : un de ses amis est nommé garde des sceaux, un autre président du tribunal où doit être jugée Henriette, et quelques jours avant la première audience, le procureur général reçoit la légion d’honneur. Reste les jurés : quand l’urne contenant les noms des jurés arrive dans la salle des assises, on s’aperçoit qu’elle a été descellée. L’huissier aurait fait une mauvaise chute dans les escaliers. Les archives de la préfecture de police, exhumées par un historien, révèleront que des enquêtes ont été menées sur chacun des jurés, sur leur orientation politique en particulier. Ce qui permettra à l’avocat de la défense de récuser tous les partisans de la droite nationaliste. Le public est sous contrôle, trié sur le volet. Il est truffé de comparses qui huent ou acclament les témoins. L’acquittement n’est qu’une pure formalité. Caillaux, qui a démissionné de son poste de ministre, sera tout de même élu député en 1914. Il poursuivra sa carrière politique jusqu’en 1940, date à laquelle il vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
   J’espère ne pas avoir été trop long et ne pas vous avoir ennuyés. J’ai scanné la dédicace de l’auteur, en espérant qu’elle puisse être exploitée. En vous remerciant de votre attention!

 549 total views,  2 views today

image_pdf

12 Commentaires

  1. Merci pour ce rappel historique qui n’a, c’est évident, aucun rapport avec des pratiques des Gvt depuis 1974 à nos jours…😂 😂 😂 😂

  2. Merci à Argo pour ce récit de la ‘petite’ histoire, qui bien souvent (quand on peut la retrouver), explique la ‘grande’.
    Un recit bien vivant des passions humaines, où, comme dit plus haut dans un commentaire, on voit qu’on a jamais manqué ni de pourris ni d’esprits tordus ; mais au moins, a cette époque, ils étaient du ‘cru’, et non pas ‘importes’. On a nos salauds, on a nos bandits, on a notre diversité, nul besoin d’en importer, si ce n’est pour pourrir la vie encore plus

  3. Déjà à cette époque, les politicards gauchistes étaient des pourris jusqu’au trognon !

    • et alors pour la Justice, qui dit mieux, ? du copié-collé d’aujourd’hui

  4. Excellent article, et sujet original !
    Le Figaro suit actuellement le virage du Monde il y a 40 ans. De journal de référence plutôt de droite, comme la fait Le Monde, il vire à la gauchiasse puante d’année en année.

  5. Fabuleux, ça montre en fait qu’en matière d’ordures politiques et juridiques, comme l’écrit l’Ecclésiaste “il n’y a rien de nouveau sous le soleil”

  6. Un jour de chance, cette trouvaille de la dédicace d’un grand écrivain à un célèbre personnage ! Et oui, René Bazin, le grand-oncle d’Hervé, dont on a gardé le visage en mémoire, est bien de l’époque du Petit Journal.

  7. En m’excusant des quelques majuscules omises ça et là ! J’ai dû m’y reprendre à deux fois, deux coupures dues à un problème de réseau internet, merci Orange! Du coup j’ai été moins attentif en recommençant ! Ça arrive souvent dans notre village. Je ne sais pas s’il existe d’autres opérateurs plus fiables qu’Orange?

  8. Il s’en est tellement passé au cours des siècles d’histoire de la France qu’il est difficile de se souvenir de tout…
    Merci pour la piquouze de rappel.

Les commentaires sont fermés.