Un magazine allemand s'intéresse au parcours exceptionnel de notre ami et contributeur Jean Schoving

Illustration : Jean Schoving.

Jean est un ami, c’est lui qui nous traduit la presse allemande, quand ses activités sportives, malgré ses 76 ans ! le laissent en repos. 

C’est une vie qui interpelle que la sienne, et l’article rend parfaitement compte de la vie difficile de ces enfants, nés dans l’Allemagne qui va devenir française à la libération, et dont le père est considéré comme un traître, est fusillé… Comment vivre avec un tel poids sur les épaules ? Comment vivre avec ces deux identités et ces silences sur les origines ? 

Témoignage poignant. Bravo Jean d’être devenu ce que tu es, malgré tout ou peut-être à cause de tout cela. Tu as développé une exceptionnelle résilience pour devenir un gagnant… et un opposant déterminé à l’islam, ennemi numéro 1 dans ta vie comme dans celle de nos contributeurs et lecteurs. 

Je t’embrasse, merci pour tout, on est fiers que tu sois avec nous, sacré bonhomme !

Christine Tasin
 
« Fils d’indigne »
20.11.2020

Jean Schoving découvre encore adolescent que son père a été exécuté en tant que collaborateur nazi et traître à la nation. Cela marque jusqu’à ce jour la vie de cet homme âgé à présent de 76 ans.

Le sport représentait déjà une compensation pour Jean Schoving, alors qu’il ne savait même pas encore pourquoi. Aujourd’hui, il est âgé de 76 ans et parle toujours encore avec autant d’enthousiasme de compétitions qu’il a remportées depuis sa jeunesse et aussi de celles qu’il vient encore de disputer récemment, il y a seulement une semaine. Sa vie est en grande partie vouée au sport. L’année dernière encore, il a battu au lancer de poids dans la Région Grand-Est un ancien champion du monde d’haltérophilie. Dès l’adolescence, il court comme un dératé. Il est fier à chaque fois que le nom Schoving apparaît dans les listes des meilleures performances.

La mère fait vivre ses deux enfants toute seule

Si son père en aurait été fier lui aussi ? Schoving ne le sait pas, il n’a aucun souvenir de lui. Le père meurt en 1947, le fils n’a même pas trois ans alors. Schoving est né lui-même en 1944 au cours de la Seconde Guerre Mondiale, sa famille habite depuis de nombreuses générations Etzling, un petit village de l’actuel département de la Moselle dans l’Est de la France. La région où se situe son village natal a connu une histoire mouvementée en tant que région frontalière entre l’Allemagne et la France. Au fil des siècles, cette région a toujours « fait la navette entre l’Allemagne et la France », comme le dit Schoving. Rien qu’entre les années 1850 et 1950, la nationalité des gens de cette contrée change à quatre reprises. C’est une instabilité qui fait vaciller l’identité de générations entières et se manifeste en fin de compte de manière exemplaire dans l’histoire familiale des Schoving. C’est ainsi que le grand-père de Schoving fait face au cours de la Première Guerre Mondiale comme Allemand à des Français sur le front, la région appartient justement à l’Empire allemand à ce moment. Et quand le père de Schoving vient au monde pendant les troubles de la Première Guerre Mondiale, il est encore citoyen allemand sur le papier. C’est seulement après la guerre qu’il devient Français en vertu du Traité de Versailles. La contrée bénéficie ensuite d’une pause qui expire au plus tard en l’an 1940, quand la Wehrmacht enfonce la Ligne Maginot à la frontière franco-allemande, occupe la région et la rattache à nouveau à l’Allemagne. Quand Jean Schoving vient au monde au cours de l’avant-dernière année de guerre, il est donc lui aussi officiellement citoyen allemand. Son prénom de naissance est Johann Günther, son acte de naissance est rédigé en langue allemande. Quand la guerre est terminée, la région redevient française, sur injonction des autorités, le prénom de Schoving est modifié en faveur de sa variante française. Ce ne sont pas seulement les Allemands qui sont haïs, mais aussi leur langue. Schoving ne s’appelle plus Johann Günther à présent, mais Jean Gonthier.

Après la mort du père, sa mère élève les deux enfants toute seule, et elle essaie en tant que maîtresse couturière et plus tard de gérante d’un petit magasin de faire vivre la famille. À aucun moment de sa vie, elle ne parle du père. Le fait qu’au cours de l’après-guerre, de nombreux fils grandissent sans leur père est une triste réalité, mais plus Schoving grandit, plus il se rend compte que chez lui, il y autre chose. L’argent est souvent rare à la maison. Aujourd’hui, il sait pourquoi. Et il sait aussi pour quelle raison, encore adolescent, il était souvent un paria pour les autres garçons de la localité et leur servait de tampon. Aujourd’hui, il sait aussi pourquoi la mère quitte finalement le village que la famille habitait depuis des générations pour déménager à Forbach, la localité plus importante la plus proche. La raison : son père, Hänschen Schoving, a été exécuté en tant que collaborateur nazi et traître à la nation. Le 26 juillet 1947, il est fusillé et meurt à l’âge de 29 ans, après avoir été condamné à mort par la Cour de Justice de Metz pour intelligence avec l’ennemi. Ci-contre Hänschen Schoving,  mort à l’âge de 29 ans. Photo : Privé

À cet égard, une réalité que le fils souligne encore souvent même aujourd’hui dans ses exposés est le fait qu’au cours de la procédure judiciaire son père a été déclaré indigne de la nationalité française. Le père décède finalement non pas en tant que Français et pas non plus comme Allemand, mais en tant qu’apatride. Par suite de quoi, ni la mère ni les enfants ne touchent un quelconque soutien financier de la part de l’État. Et il semble être encore plus accablant pour Schoving  que la perte d’identité du père le prive lui aussi de la possibilité de trouver une identité, qu’un fardeau pèse sur lui, dont il n’est pas lui-même responsable.

Hänschen Schoving est mort à l’âge de 29 ans

 Photo : Privé

Après la mort du père, sa mère élève les deux enfants toute seule, et elle essaie en tant que maîtresse couturière et plus tard de gérante d’un petit magasin de faire vivre la famille. À aucun moment de sa vie, elle ne parle du père. Le fait qu’au cours de l’après-guerre, de nombreux fils grandissent sans leur père est une triste réalité, mais plus Schoving grandit, plus il se rend compte que chez lui, il y autre chose. L’argent est souvent rare à la maison. Aujourd’hui, il sait pourquoi. Et il sait aussi pour quelle raison, encore adolescent, il était souvent un paria pour les autres garçons de la localité et leur servait de tampon. Aujourd’hui, il sait aussi pourquoi la mère quitte finalement le village que la famille habitait depuis des générations pour déménager à Forbach, la localité plus importante la plus proche. La raison : son père, Hänschen Schoving, a été exécuté en tant que collaborateur nazi et traître à la nation. Le 26 juillet 1947, il est fusillé et meurt à l’âge de 29 ans, après avoir été condamné à mort par la Cour de Justice de Metz pour intelligence avec l’ennemi. À cet égard, une réalité que le fils souligne encore souvent même aujourd’hui dans ses exposés est le fait qu’au cours de la procédure judiciaire son père a été déclaré indigne de la nationalité française. Le père décède finalement non pas en tant que Français et pas non plus comme Allemand, mais en tant qu’apatride. Par suite de quoi, ni la mère ni les enfants ne touchent un quelconque soutien financier de la part de l’État. Et il semble être encore plus accablant pour Schoving  que la perte d’identité du père le prive lui aussi de la possibilité de trouver une identité, qu’un fardeau pèse sur lui, dont il n’est pas lui-même responsable.

Jean Schoving a mis par écrit l’histoire de sa famille en deux livres. C’est une histoire à double face. Il s’agit de son propre « Itinéraire d’un fils d’indigne », tel est le titre du livre, à la recherche de sa propre position parmi une génération d’enfants de l’après-guerre, dont il ne fait pas quand même pas partie. Dans ses explications, il navigue entre ses succès sportifs, par l’intermédiaire desquels il entend redorer le propre nom, entre des souvenirs fragmentaires de son enfance et l’histoire de son père. Pour quelle raison s’est-il mis à l’écriture ? Afin d’attirer l’attention sur lui, ou peut-être pour assumer son traumatisme juvénile, dit-il.

Assimilation de l’histoire en deux livres

Pendant longtemps, beaucoup de choses restent inexprimables pour lui. Quand il découvre à l’adolescence les circonstances dans lesquelles son père est mort, il a honte. Il choisit dans un premier temps la voie suivie par sa mère et se tait. « Ma mère ne m’a jamais raconté quoi que ce soit de mon père, probablement par honte, ou peut-être aussi par colère d’avoir été abandonnée par son mari pour des raisons dont il avait lui-même à répondre », écrit-il dans son livre et se rappelle comment lui aussi répond évasivement. « Au collège ou au lycée, le moment que je redoutais le plus était celui où on m’interrogeait sur mon père et les causes de sa mort. Que devais-je répondre ? Qu’il était mort exécuté pour contacts secrets avec l’ennemi ? C’était terrible. » C’est pourquoi jusqu’âge de trente ans, il déclare de façon immuable simplement : « Il est mort des suites de la guerre ». S’il est possible aujourd’hui de se prononcer rétroactivement sur la question de la responsabilité, on peut en débattre. C’est un sujet difficile, thématisé toujours à nouveau à l’aide d’autres cas jusque dans un passé récent et dont on discute à partir de nombreux points de vue. Selon Schoving, son père était placé à l’époque devant un choix qui n’était pas une véritable alternative, comme le dit le fils. S’il n’avait pas donné son accord pour travailler comme traducteur pour le Sicherheitsdienst à Metz, il aurait été, au même titre que beaucoup d’autres, envoyé comme soldat sur le front de l’Est. Officiellement, il travaillait comme interprète. Fournir des informations confidentielles sur les projets de fuite de Français, constituait la partie officieuse de son activité. « Il ne voulait pas  mettre sa famille en danger », explique le fils. Après sa condamnation, un journal titre à la une : « La mort pour Schoving, dénonciateur de résistants ». Depuis de nombreuses années, Schoving se préoccupe de façon active de son identité. Il a assimilé en lui l’histoire de sa patrie, y compris professionnellement. Après le baccalauréat, il fait des études d’allemand à Strasbourg, travaille longtemps comme traducteur chez Peugeot à Sarrebruck, devient travailleur frontalier. Ses livres, il les a également traduits en allemand. Il entretient des contacts étroits avec la Sarre, y compris à cause du sport. À côté de sa carrière comme coureur à pied en France, où il devient par exemple dans les années 60 et 70 champion de Lorraine sur 5 000 m et champion d’Alsace en cross-country, ou bien améliore le record d’Alsace sur 2 000 m piste, il parvient également à devenir champion de Sarre vétérans de cross ou bien vice-champion d’Allemagne du Sud par équipes sur marathon pour le compte de Saar 05. La France l’attire à nouveau également, il devient entraîneur à succès en athlétisme, son épouse d’alors, Ingrid, établit la première meilleure performance française féminine sur le marathon. Bien que passant depuis lors la majeure partie de l’année en Ardèche, Schoving revient encore régulièrement dans sa région natale. Aujourd’hui, il ne se voit pas comme Français ou comme Allemand, mais comme Lorrain, comme fils justement de cette petite contrée en bordure de la France.

Traduction pour Résistance républicaine par Jean Schoving.

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2 Commentaires

  1. Touché par ce roman de famille …
    L’écriture comme exutoire d’un malaise certain qui a du gâcher passablement son adolescence et qui le hante sans doute encore … C’est bien compréhensible.
    Heureuse fin de vie en Ardèche Jean, et qu’elle s’écoule agréablement et le plus lentement possible …

  2. Merci pour cette évocation qui présente un récit plus respectueux de l’identité et de l’histoire des territoires d’Alsace-Moselle que celui que l’on peut lire habituellement. (Notamment, en cette période de commémoration du 11 Novembre, on peut rappeler que la plupart des jeunes Alsaciens et Mosellans ont fait la guerre dans les rangs allemands – un Alsacien, Heinrich Scheuch est même devenu général dans l’armée allemande)
    Comparaison avec les Etats-Unis: les Sudistes et les Nordistes se sont combattus avec acharnement et ils se sont de nouveau réunis sous la même bannière étoilée… les morts et héros confédérés vaincus étaient aussi honorés (du moins jusqu’à maintenant…)

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