Les bobos le  découvrent seulement : la pionnière écolo, c’était « mémé zéro déchets »

Photo de la série « Tante Juliette », Valanjou (Maine-et-Loire), 1987.

 

Mémé, elle qui faisait attention à tout,  voulait-elle « sauver la planète » ?

En tous cas, les bobos, qui réinventent le monde tout le temps, viennent de la redécouvrir !

 

Lu dans le Monde :

« Elle me semblait trop près de ses sous. Elle avait l’art de consommer le moins possible.

Aujourd’hui, je la vois d’un autre œil, avec mes trois enfants que je sensibilise à l’épuisement des ressources… »…

 Mémé qui ne jetait rien, on avait fini par la jeter aux orties.

Alors,  cela fait du bien de voir les experts de 2019 se rendre enfin  compte que nos grands-parents n’étaient pas si idiots.

 

On avait beau l’adorer, ses réflexions agaçaient.

«Ferme la porte, tu chauffes le cul du bon Dieu… », «Attention tu fais des épluchures trop grosses ! », « Toutes ces feuilles de papier toilette pour des petites fesses d’enfant?»

Chez Léonie, à Villeneuve-l’Archevêque, dans l’Yonne, la vaisselle se faisait en bassine, dans l’évier, la douche devait être désencombrée avant exceptionnel usage, la télé se regardait, agglutinés autour de la cuisinière, la température des chambres poussait à s’enfouir jusqu’aux yeux sous l’édredon, les pulls étaient tricotés main, les rangs de haricots verts arrosés à l’eau de pluie, les croûtes de pain échangées contre les tomates du voisin, qui élevait poules et lapins, et le biclou du grand-père tenait lieu de SUV (véhicule utilitaire sportif).

Près d’un demi-siècle plus tard, hommage doit lui être rendu : Léonie dite « mémère Nini » avait raison.

Cette grand-mère de la campagne et de peu de moyens, qui n’avait que trop connu la guerre, les tickets de rationnement et les rutabagas, était, par nécessité, écologiste avant même que le mot existe; elle pratiquait, sans s’imaginer pionnière, la sobriété, le zéro déchet, l’économie circulaire, la permaculture, le locavorisme, l’échange de services et le « do it yourself ».

Qui veut réduire son empreinte carbone adopte peu ou prou, aujourd’hui, le mode de vie des mémés à blouse de la France rurale. Montreuil (Seine-Saint-Denis) et Villeneuve-l’Archevêque : mêmes mouchoirs en tissu, mêmes poêles à bois, mêmes vélos, même combat !

Le rapprochement ne réjouit pas forcément les militants écologistes, las d’être renvoyés aux temps éclairés à la bougie.

Pour mobiliser la jeunesse, Greta Thunberg vaut mieux que mémère Nini.

Quoique… « Mémé [L’Iconoclaste, 2014 c’est un label politique, estime Philippe Torreton. C’est mon livre le plus engagé même si telle n’était pas mon intention initiale. »

Début 2014, l’acteur publiait cette ode à son aïeule normande Denise et à «sa simplicité de vivre», qui n’a cessé, depuis, de se vendre (185 000 exemplaires) et de lui valoir du courrier.

«Je me méfie, pondère-t-il, de notre regard nostalgique. Son existence était rude tout de même. Mais une partie de la survie de l’espèce humaine dépend de notre capacité à nous réapproprier sa sobriété, après avoir été tant poussés à consommer, à jeter. Ce n’est ni passéiste ni réactionnaire. C’est un retour au bon sens.»

Retour que l’ancien sociétaire de la Comédie-Française opère lui-même en famille. Ses deux enfants, jure-t-il, savent se transmettre les vêtements, éteindre les lumières et finir leur assiette.

Dans le jardin de la maison, en Val-de-Marne, les poules, récupérateur d’eau et salades ont leur place.

«Je me lave au lavabo, poursuit-il, je ne prends plus qu’une douche par semaine, comme mémé. Ne pas gaspiller, cuisiner les restes, recycler… je l’entends me parler!»

L’urgence environnementale offre une belle revanche à la culture «mémé », en ce début de troisième millénaire. Celle-là même qu’avaient ringardisée la modernité consumériste des «trente glorieuses », le tout-jetable, le tout-plastique.

Sur les blogs écolos, et sur fond de tendres photos noir et blanc, le quotidien exhumé des grands-parents ou arrière-grands-parents, leur vie modeste, économe, leur proximité avec la nature et les saisons, redeviennent source d’inspiration.

Les bocaux, les filets à provisions, le verre consigné, le compost, le potager, les poules, le bidon d’eau de pluie au milieu du jardin, les conserves maison, l’art d’accommoder restes et épluchures, le garde-manger à la cave, l’achat en vrac chez le commerçant du coin, les serviettes de table et mouchoirs en tissu, les bouillottes, les couches lavables, le savon noir et le vinaigre blanc : tout ressort comme par magie de l’armoire normande.

Retraité de la SNCF, Frédéric Wetzel poursuit l’énumération sur son site Internet Jeveuxsauverlaplanete. Le sexagénaire a transformé son pavillon de Baisieux (Nord) en laboratoire de basse consommation d’eau et d’électricité pour « reproduire l’exemple» de sa grand-mère Aurélie, qui l’a élevé dans les années 1950.

«Son équipement électrique se limitait à quatre ou cinq ampoules et une radio qu’elle ne laissait jamais allumées inutilement. La lessive et le lavage des sols s’effectuaient à l’eau de pluie. Aurélie était écolo malgré elle. Elle faisait attention, c’est tout. Ça la ferait rigoler, toutes ces choses auxquelles on revient. A cette époque, les conditions de vie des femmes n’étaient pas très agréables… » Difficile en effet de qualifier d’« heureuse » la sobriété du monde rural après-guerre.

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«Les femmes aujourd’hui nonagénaires étaient aliénées, elles menaient—une vie de labeur, sans aucun loisir», rappelle Christine Castelain-Meunier, sociologue de la famille et de l’environnement à l’EHESS et au CNRS.

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Et pourtant, crise écologique aidant, les mémés se muent, selon elle, en « modèle porteur» conforme aux aspirations des plus jeunes : «Leurs pratiques font sens aujourd’hui. A cette différence près que les tâches sont désormais partagées dans le couple. Et que ce mode de vie est un choix, effectué pour épargner la nature, qui procure une certaine fierté. On est passés de la frugalité imposée à la sobriété heureuse, grâce aux technologies et services qui viennent à notre secours. »

Tandis qu’Ehpad et villages crient misère, la « mémémania » s’impose, beau paradoxe, hissant l’aïeule qui n’en demandait pas tant au sommet de la pyramide de la hype. Une websérie collaborative en témoigne, qui lancera bientôt sa deuxième saison grâce au financement participatif : Grandmas Project. De jeunes réalisateurs se filment en cuisine avec leur grand-mère.

Comme Irvin Anneix, artiste vidéaste de 29 ans, et sa mamie Yoda, confectionnant en duo et rires complices un lait de poule à la campagne. Les 13 premiers films ont cumulé plus de 100 000 vues. Jonas Parienté, créateur du projet, évoque sa mémé polonaise qui n’utilisait jamais qu’un sachet de thé quel que fut le nombre de tasses.

«Elle me semblait trop près de ses sous. Elle avait l’art de consommer le moins possible. Aujourd’hui, je la vois d’un autre œil, avec mes trois enfants que je sensibilise à l’épuisement des ressources… »

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La publicité et le marketing font les mêmes yeux doux à cette rassurante, bienveillante, immuable incarnation de la simplicité. Cette «antithèse de la figure de modernité froide et superficielle», comme la caractérise Mme Castelain. Mémé est mise à toutes les sauces.

Quoi de plus tendance que de nommer son restaurant Odette ou Albertine et Louison ? Elaborer la carte d’après les recettes de l’aïeule, ou en sa compagnie ! Jean Imbert, chef trentenaire et médiatique, joue sur du velours nostalgique. Après avoir inauguré un restaurant à Miami avec le chanteur Pharrell Williams, il a ouvert Mamie par Jean Imbert, en mars, à Paris, avec sa grand-mère Nicole, 92 ans, au blanc chignon, dont le portrait devant un baba au rhum chantilly peut déclencher 18 000 mentions enamourées sur Instagram. Au menu, poulet rôti, blanquette de veau, œufs à la neige… De l’enfance en cocotte (…).

D’après Le Monde du 17 novembre 2019

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10 Commentaires

  1. -“Elle avait l’art de consommer le moins possible.”-

    Ça, par contre ça ne plaît pas, ça ne convient pas à l’oligarchie et c’est pour cela que les zélites font entrer en masse de futurs très gros consommateurs qui seront aussi leurs esclaves.

    • Pourquoi croyez-vous qu’il ont inventé leur “black friday” ?
      Ils vont ensuite étudier comment piquer directement sur les comptes bancaires…. avec la complicité de l’illusionniste, dès qu’il aura fini de se servir, lui et ses adeptes..

  2. j’ ai enormément aimé ce billet, qui m’ a ému et rajeuni, ayant vécu ces mille et un faits

    les gens qui prennent leur douche ou bain, a l’ eau tiède tous les jours gaspillant des milliers de litres d’ eau, plus le gaz………..et pire encore ceux qui aprés une pissette, balancent de 5 a 10 litre d’ eau POTABLE , quelle honte

    dans mon enfance l’ eau du robinet suffisait a se débarbouiller sommairement aidée du gros cube de savon vert de Marseille, il n’ y avait pas de douche et seule la grande toilette hebdomadaire avait lieu au Hammam , il y en avait trois a Carthage, occasion de se retrouver le jeudi aprés midi avec les copains……

    Les bouteilles en verre, y en avait quatre, une pour l’ huile, deux pour le vin – a la tirette- et une pour le pétrole qui alimentait le “Primus”
    tout le reste, vendu au detail, sucre, café, thé, legumes secs, conserves (rares) les femmes savaient tout faire, depuis la sauce tomate, l’ harissa, etc etc ..

    et bien sur emballé dans des cornets de papier journal………..t compris le poisson entier et frais pêché du jour…
    seule la viande était envelopée dans une sorte de papier cartonné vert/marron

    j’ ai eu la chance , il y a une dizaine d’année sur un livre du grand Bourguignon, Henri Vincenot, titré ” la vie des paysans bourguignons au temps de Lamartine”

    un vrai bijou ou l’ esprit de ce temps correspond a ce que j’ ai connu

    entre autre, l’ équipement en eau, nous avions a l’ interieur de la maison un puits et une citerne
    la citerne pour l’ eau de ménage,blanchisserie, linge et , versée dans un sceau, en guise de chasse pour le cabinet
    l’ eau du puits, nappe phréatique, pour la boisson….

    alors quand je vois l’ abominable gaspillage …………

    J’ ai honte et peur du jour-que je ne verrais pas- ou , avec 10 milliards d’ habitants, l’ eau sera ramassée dans des flaques !

  3. Un seul cabas en tissu, plus solide que le plastique, peut servir des années, et éviterait d’utiliser des milliers de sacs en plastique.

  4. ça me fait marrer, le Jean Imbert (et passe), qui a ouvert un resto à Miami puis à Paris pour les bobos qui confondent coeur avec réalité.

  5. Hé oui, mais à l’époque il n’y avait pas le crédit-revolving, le découvert autorisé.
    Les gens étaient payés en liquide et savaient compter.

    • On ramenait une bouteille (en verre) chez l’épicier du coin pour acheter une nouvelle bouteille de vin à 9°- ou 9°5, le luxe, et tout ce qui y était acheté était embalié dans du papier journal..Ca ne nous a pas encore tués, mais il faut dire que si cette génération a inventé l’électronique, la suivante a compris que les doigts sont utiles, et que la terre est basse.

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