Les Blancs et les Noirs s’entendaient bien au Congo en 1959 ? Alors ils refusent mes films super 8 !

Une expérience personnelle.

De 1956 à 1959 j’ai vécu au Congo où mon père (instituteur et licencié en pédagogie et psychologie) avait été envoyé par le gouvernement belge pour y construire une école pour former des enseignants indigènes.

De ce séjour mes parents m’ont laissé 8 bobines de film 8mm. J’ai découvert un passionné de cinéma amateur qui a mis ces films sur DVD et a proposé d’en faire un film « épuré » qu’on puisse montrer sans les lourdeurs des répétitions.

Donc un beau matin ce gentil monsieur vient chez moi avec trois jeunes, disons 25 ans, étudiants dans le domaine du cinéma. Alors nous nous asseyons et ils veulent savoir ce que moi j’aimerais faire passer comme message. Je leur explique que « Au Congo nous vivions dans une société multiculturelle avec des Belges, évidemment, mais aussi des Grecs, Portugais, Suisses, Américains, des juifs rescapés des camps, Français, Hollandais, Allemands, Indiens, Chinois, Mauriciens, des mulâtres, etc. et bien sûr des Congolais. Nous les enfants nous étions ensemble à l’école sur les mêmes bancs Donc mon message : si nous, les enfants nous avions pu continuer à grandir ensemble nous serions devenus les adultes ensemble et aurions constitué la classe dirigeante multiculturelle et aujourd’hui le Congo aurait été le pays le plus moderne du monde. Malheureusement, comme le raconte Larry Devlin dans son livre « Chief of station Congo » , les Russes voulaient l’uranium du Katanga, mais les Américains le voulaient pour eux, alors la CIA a foutu le bordel… » et il a appelé ça « un épisode de la guerre froide »…

Les trois jeunes me regardent effarés… mais qu’est ce que je raconte-là ? Alors je leur explique qu’au temps des Belges, la colonie fonctionnait bien, avec routes, chemins de fer, aéroports, navigation sur les fleuves, eau courante potable, égouts, électricité, écoles, hôpitaux, campagnes sanitaires contre les épidémies, vaccinations anti-polio, banques, poste, etc. pour tout le monde… même avec des enfants noirs dans l’école des blancs… et même on voit dans le film une famille noire qui était chez nous car mes parents les avaient invités à venir prendre le thé… Mon Dieu quelle horreur, les coloniaux belges n’étaient pas des monstres…

Ah, mais il y a une scène qui en dit long : ma mère et moi, nous rentrons du marché et déposons le panier de fruits et légumes et le boy vient pour le prendre, mais il voit que mon père prend des photos alors il se met en pose car il ne sait pas que c’est du cinéma et qu’il peut bouger, alors ma mère lui fait signe de prendre le panier « Vous voyez – dit le monsieur- voilà la femme blanche qui commande à l’homme noir »… Moi, j’en suis restée comme deux ronds de flan…

Je leur explique. Ensuite on entre dans la discussion… la colonisation, le Conférence de Berlin, l’esclavagisme arabe dans le Nord Est du Congo – les explorateurs, Stanley, Livingstone, Tippo Tipp, le marchand d’esclaves arabo-musulmans de Zanzibar… ils ne connaissent pas … à la rigueur le film Out of Africa ?… le livre African Hunter de Bror Blixen , les personnages comme Beryl Markham , ni même Albert Schweizer ? ils ne connaissent rien de tout ça, même pas les livres de Wilbur Smith… et Hemingway… ah oui… le nom ça leur dit quelque chose, vaguement…

Ils me regardent effarés… Stanley, connais pas… Livingstone non plus mais de toute façon, c’était pas un affreux esclavagiste ? ah bon, un médecin-missionnaire anti esclavagisme du mouvement anglais contre l’esclavage qui avait obtenu l’abolition de la Traite des Nègres le 2 mars 1807 ? Je leur demande comment ils peuvent se faire une opinion s’ils n’ont pas lu les livres écrits par les témoins directs, par les acteurs de l’Histoire… Tout ça se trouve même sur Wikipedia, il suffit de digiter sur google « esclavage » et toute l’histoire y est… Ils se demandent dans quel monde à l’envers ils sont tombés… eux qui croyaient réaliser un film politiquement correct…

L’un d’eux a le courage de balbutier qu’il ne sait pas faire un film qui est contraire à sa conscience… et sa conscience, elle est évidemment anti colonialiste… Ils sont sans doute aussi décontenancés de se trouver devant une vieille qui n’a pas vraiment le style bonne-maman… J’avoue que quand ils sont partis, avec un malin plaisir et un charmant sourire, je leur ai donné une poignée de main à la hussarde dont ils se souviendront.

On en est où ? En désespoir de cause je leur ai demandé, avant d’aller plus loin, de regarder le matériel cinématographique dont je dispose. Là ils vont avoir d’autres surprises quand ils vont voir les danses tribales ou mon père, avec ses collaborateurs noirs, tous en grande tenue blanche avec képi et décorations qui vont déposer une gerbe devant le monument au roi Albert… ou saint Nicolas blanc qui vient apporter des bonbons aux enfants dans l’école noire de mon père… que vont-ils en penser ?
En plus je leur ai demandé de lire mes souvenirs https://atelier-ca-della-fiola.blogspot.ch/p/congo.html

Quand nous aurons ajouté, à mes souvenirs, les lettres que ma belle-mère envoyait dans les années 1936 à sa mère, là on aura une idée de la vie en brousse.

Bref… je n’ai pas encore reçu de leurs nouvelles et je crains qu’il faudra trouver quelqu’un d’autre pour réaliser le film …
Mais, le truc dans l’affaire, c’est que quand ma génération aura débarrassé le plancher il n’y aura plus personne pour dire comment c’était en réalité. Bien sûr il y a de nombreux livres, mais c’est si vite fait de ne pas les lire.

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19 Commentaires

  1. De toutes manières, la colonisation européenne de l’Afrique noire n’était pas négative pour les autochtones locaux. Constructions d’hôpitaux (dispensaires), d’écoles, de routes, etc… Et la plupart des Africains appréciaient l’arrivée des Blancs pour les aider.

    Si les grandes puissances étatsuniennes et russes n’avaient pas mis leur nez dans nos affaires coloniales, on aurait gardé ces immenses territoires et éviter les guerres tribales, les génocides, les catastrophes naturelles et la corruption politique.

  2. On pourrait appliquer ce texte à ce qui se passait en Algérie, ma belle mère (90 ans) racontait à peu près la même chose, rien à voir avec la sale propagande qui est faite et qui raconte que les “sales français” volaient les maisons des pauvres arabes et les faisaient bosser jusqu’à la mort.. Mais voila il faut désinformer et reformater les idées, même s’il faut y sacrifier l’honnêteté et l’honneur, afin de rester dans le politiquement correct et préparer le grand remplacement.
    Ce qui est affligeant c’est que même devant des preuves véritables les gens sont tellement endoctrinés profondément qu’ils refusent d’admettre une réalité qui ne correspond pas à celle qui leur a été inculquée.

  3. J’ai aimé votre article.
    Je suis prêtre missionnaire (…! colonial ?) au Cameroun depuis plus de 20 ans.
    Mon nom est celui des éditions de Tintin (voir bas de la photo ci-dessus).
    Je suis donc belge (né en 1959).
    Ce que vous dites reste vrai, dans le bon sens : quand on aime nos frères d’Afrique (je suis constamment avec les jeunes à Yaoundé, la capitale), on en apprécie toute la beauté — extérieure et intérieure. What else ?

    • je suis intéressée de savoir ce que vous pensez de mes souvenirs
      https://atelier-ca-della-fiola.blogspot.ch/p/congo.html

      Nous n’avons passé que 3 ans au Katanga mais cela a suffi pour marquer toute notre vie. Par contre mes beaux-parents y ont passé de 1936 à 1959 … j’ai entendu les histoires du Kivu et du Maniema… mon beau-père était administrateur territorial et autant à Stanleyville qu’à Jadotville il y a des quartiers qui portent son nom … si les indigènes nous avaient détestés auraient-ils donné le nom de blancs à leurs faubourgs ou aux stades de sport ? C’est un immense gâchis pour nous mais surtout pour les Congolais.

  4. Nous avions des représentants de toutes les religions et aussi des musulmans: les Sénégalais que tout le monde appréciait car c’étaient des “gens sérieux”, très réservés , qui ne buvaient pas, ne faisaient pas d’histoires contrairement à nos Congolais … Je m’explique et honni soit qui mal y pense: “nos Congolais” – du moins dans ma mémoire, étaient de joyeux drilles qui aimaient surtout faire la fête… et évidemment quelque fois levaient le coude un peu trop haut ce qui engendrait des effervescences et quelque fois aussi l’une ou l’autre bagarre… Mais il faut ajouter que aussi les Belges aimaient la fête, surtout qu’il n’y avait rien d’autre que les soirées entre amis pendant lesquelles, chaleur aidant, on buvait et souvent trop…
    C’était comme ça, et c’est pourquoi les Sénégalais avaient la réputation d’être des gens sérieux… Rien à voir avec la confrérie des emmerdeurs.

  5. J’ai apprécié particulièrement la petite pointe d’ironie que j’ai cru percevoir lorsque vous dites “nous aurions pu avec la pluralité des nationalités présentes au Congo former la classe dirigeante multiculturelle qui aurait fait du Congo le pays le plus moderne du Monde”.
    Ce qui était honni dans le cadre du colonialisme est hautement recommandé par de notre “intelligencia” dans celui du remplacisme si je puis utiliser ce terme.
    Le nationalisme est formidable quand il s’agit de ces nations des ex colonies
    et nous nous devons nous plier aux exigences du mondialisme et ses avatars que sont le multiculturalisme et le “vivre ensemble exigé” qui pourraient devenir bien pire à terme pour les nations dont les populations sont remplacées que ne l’a été le colonialisme pour les populations colonisées

    • Bonjour,

      Vous décrivez exactement ce qui se passe.

      En particulier, les Musulmans colonisateurs chantent la diversité en … Europe quand ils la traquent chez eux.

      Tout ce qui n’est pas musulman est persécuté y compris les autochtones convertis au christianisme ou athées.

    • non, non aucune ironie: aujourd’hui je me rends compte que nous vivions avec des gens de toutes origines, mais nous, les enfants à l’école nous n’avons jamais fait la différence entre un grec, une mulâtre ou un belge ou notre condisciple noir Sebastien
      nous aurions grandi ensemble et nous aurions construit une société ensemble

    • je crois que vous devez lire tout le texte
      https://atelier-ca-della-fiola.blogspot.ch/p/congo.html
      pour comprendre combien tout cela était complexe et combien tout ce petit monde vivait dans un monde à part dans lequel nous nous entendions vraiment –
      figurez-vous qu’encore aujourd’hui j’ai des contacts avec des anciens coloniaux que j’ai retrouvés au lycée et avec qui je continue à correspondre

  6. Bonjour ami”es
    J’adore votre récit. Il montre que si il n’y avait pas eu, les Russes et les USA avec leurs querelles et bien le Congo serait un pays aficooccidental. Mais comme d’hab. certaines entités mondial, foutent la pagaille partout ou elles passent.
    Merci pour se récit.
    Bruno

  7. Il y a autre chose : hier le nouvel album BD de Bob et Bobette sortait en librairie, mais avant sa sortie il avait déjà été dénoncé pour racisme car deux personnages noirs sont dessinés d’une façon qui ne plait pas… Tintin au Congo a déjà subi une série de dénonciations pour racisme. En 1936 Lydie et André, qui 30 ans plus tard allaient devenir mes beaux-parents, partaient au Congo pour y travailler en tant qu’administrateurs, construire des routes, des ponts, etc. Les lettres que Lydie a envoyées à sa mère Clémentine, racontent ce que André et Lydie rencontrent et décrivent leur vie quotidienne … Dès que ces lettres auront été retranscrites, je les mettrai sur le blog : elles sont un témoignage intéressant à mettre en rapport avec le réalisme de Tintin.

  8. Quand en 1959 nous avons dû quitter le Congo, les enseignants de l’école de mon père et les personnes que nous connaissions étaient tristes de nous voir partir. Ils nous demandaient « et maintenant qu’est-ce qui va se passer ? » « quand allez-vous revenir ? » Mon père n’osait pas répondre car il prévoyait la guerre civile et les massacres. Le Congo est resté une immense tragédie dans nos cœurs et c’est terrible de lire la bêtise idéologique des politiquement corrects.

  9. _ Extraordinaire saga que celle de votre famille, merci Anne pour ce témoignage passionnant et oui, faite un film, le poids des image avec les textes et les voix sont bien plus intéressants pour les jeunes générations qui ne lisent plus.

    _ J’apprécie aussi tout le contenu de votre blog avec vos réflexions personnelles sur les lieux, les chronologies des évènements et sur les différentes cultures qui se découvrent, de la guerre aussi, il y a un humanisme de votre pensée qui me touche avec la tendresse de votre style littéraire dépouiller de tout à-priori, c’est votre enfance avec le bonheur de l’amour que votre famille vous a donné qui vous a fait belle esprit autant que belle personne.

    • La guerre… je suis née juste après mais j’en ai entendu parler quasiment tous les jours… ce qui m’interpelle c’est la similitude avec aujourd’hui. Mon père était instituteur à l’époque et très cultivé , donc pas du tout une brute épaisse et pourtant mes parents ne se sont pas posé de questions. Ma mère me racontait le plaisir qu’ils avaient à aller aux formidables bals organisés par le parti Rex… et après la guerre… la condamnation incompréhensible de son leader Léon Degrelle… Mon père disait que évidemment ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire… Alors je me dis qu’il ne faut pas s’étonner du déni de réalité de nos zélites actuelles… surtout que mes parents étaient des gens normaux tout à fait BCBG …
      Mais lisez tout ça dans https://www.moosburg.org/info/stalag/lauwaert.html

  10. Merci Anne. Très intéressant et révélateur. La ré-information a fort à faire, à condition qu’elle soit acceptée par ceux qu’elle cible !

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