Comment le Maroc lutte contre l'Etat islamique

Comment le Maroc lutte contre l’Etat islamique

Face à la menace terroriste, Rabat a opté pour une nouvelle stratégie sécuritaire. Le pays multiplie les arrestations des djihadistes de retour au pays, notamment dans le Nord, une région où ont essaimé des cellules de recrutement.

Face à la menace, le royaume chérifien a créé en 2015 le Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), chargé de la lutte antiterroriste. (Sébastien Backhaus pour le JDD)

Un doigt sectionné. C’est tout ce que Yacine Charaa a ramené de son année chez Daech. Ça, et une belle aptitude au mensonge. Quand on le découvre attablé à un café de Tanger, il n’a plus rien du petit dur qui se faisait appeler Abou Al-Baraa en Syrie et frimait sur les réseaux sociaux, kalach à la main. Cheveux bien rangés, faux Lacoste moulant, embrassade pour la salutation, le jeune homme de 23 ans tente de se racheter une conduite. Son séjour en Syrie? Il l’élude, expliquant n’avoir “jamais combattu”. Sa famille, dont sa petite sœur de 4 ans, qui l’a rejoint sur place? “Ils étaient venus me chercher, c’est tout.”

Aujourd’hui, Yacine préfère s’étendre sur les deux ans passés en détention après son retour. “C’était très dur, gémit-il. Depuis, j’ai des troubles psychologiques.” Il plaint son père, toujours incarcéré, “avec ses problèmes de dos et des fouilles quotidiennes”. Ce même père resté dix mois caché avec lui en Turquie avant de revenir au pays. Sans doute espéraient-ils tromper la vigilance des autorités marocaines à leur retour. C’était mal les connaître.

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Ainsi va la vie au Maroc pour ces revenants de Daech. S’il a pu tourner le regard à leur départ, le royaume chérifien se montre intraitable à leur retour. Traumatisé par les attentats de Casablanca de 2003, le pays se pose en adversaire résolu du salafisme djihadiste et de l’EI en particulier. Fin juillet, le roi ­Mohammed VI prononçait un discours écouté où il se faisait le chantre d’un islam modéré et invitait les 5 millions de Marocains vivant en Europe et dans le monde “à rester attachés aux valeurs de leur religion et à leurs traditions séculaires face à un phénomène qui leur est étranger”.

Les réseaux djihadistes sont loin d’être épuisés

Des mots loin d’être neutres ici, face à l’ampleur du phénomène djihadiste : de source officielle, 1.609 Marocains se sont rendus au Levant depuis 2011, dont 864 pour rejoindre l’EI ; 529 sont morts, 193 sont revenus. Il en reste plus de 800 sur zone, dont certains rêvent de venir établir un gouvernorat de Daech au Maroc. Sans compter les sympathisants restés au pays…

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Face à la menace, le royaume chérifien a employé les grands moyens en créant notamment en 2015 le Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), chargé de la lutte antiterroriste. S’ajoute la traditionnelle récolte d’informations basée sur “un réseau citoyen”. “Les autorités disposent d’une chaîne d’informateurs, du mokadem [chef] de quartier au cireur de chaussures, explique Mohammed Ahmed Odda, journaliste spécialisé dans le djihadisme. Même le vendeur de rue connaît la couleur de votre slip, faut pas s’inquiéter!”

Cela explique-t-il qu’aucun attentat revendiqué par l’EI n’ait ensanglanté le royaume? Le Maroc est, en tout cas, devenu le maillon fort de la lutte antidjihadiste dans la région. Ces derniers mois, le BCIJ a multiplié les coups de filet et les démantèlements de cellules. Signe que la méthode fonctionne. Signe aussi que les réseaux djihadistes sont loin d’être épuisés.

Ceuta et Melilla, des arrière-cours de Daech

Sidi Slimane, à 140 km de Rabat, au nord-ouest du pays. La petite ville de la région du Gharb a connu son lot de départs. Une bonne dizaine, assure le membre d’une association locale de défense des droits de l’homme. Ismaël*, mort au combat en 2014, fut l’un d’eux. Son neveu Mohammed* raconte comment le peintre en bâtiment a rallié Daech du jour au lendemain, délaissant sa femme et sa fille de 6 mois. “Il s’était mis à fréquenter les salafistes de la ville, se souvient Mohammed. Mais c’est surtout après un séjour de deux jours à Tétouan qu’il a radicalement changé. Je ne sais pas ce qu’il y a fait.”

Tétouan et le Nord marocain. Pour les spécialistes du djihadisme marocain, c’est là où se situent les racines du mal. Sept cents des 1.600 Marocains partis au Levant sont originaires de la partie septentrionale du pays. Le 16 septembre, le BCIJ procédait à un nouveau coup de filet à Tanger et M’diq et arrêtait trois personnes qui projetaient de commettre un attentat. Chercheur au Centre marocain des études sur le terrorisme et les extrémistes, ­Mohamed Ben Aïssa avance une explication : la proximité de Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles en territoire marocain.

Après le 11-Septembre, il y a eu un désaccord entre l’Espagne et le Maroc sur la gestion des mosquées de ces deux territoires. Les salafistes en ont profité pour s’y implanter. Après 2012, ces enclaves sont devenues des arrière-cours de Daech.” Des cellules de recrutement sont apparues et ont essaimé dans le nord du Maroc. “En 2015, les autorités espagnoles et marocaines ont travaillé conjointement pour détruire ces réseaux, poursuit le chercheur. Sauf que ces imams salafistes et les associations douteuses n’ont pas disparu!”

La contamination des esprits est toujours à l’œuvre. Pour la contrer, l’État marocain fait appel à des imams radicaux, condamnés pour terrorisme par le passé et qui ont fait amende honorable. Graciés par le roi, ils tentent de dissuader les jeunes de partir. Certains tournent dans les prisons pour promouvoir un islam plus modéré auprès des jeunes radicalisés. “Sauf que cela ne s’accompagne pas d’un vrai programme de déradicalisation”, dénonce Khalil Idrissi, avocat d’une vingtaine de clients accusés de terrorisme. Il s’agace de l’hystérie sécuritaire qui s’est emparée du royaume. “Certains de mes clients ont été incarcérés juste parce qu’ils échangeaient des messages pro-Daech sur Facebook. Ils encourent entre deux et trois ans de prison. En prison, ils risquent de rencontrer des recruteurs. Résultat : ils sortiront plus radicalisés qu’ils ne sont entrés.” 

* Prénoms d’emprunt.

Antoine Malo, envoyé spécial, Tanger, Sidi Slimane (Maroc) – Le Journal du Dimanche

dimanche 25 septembre 2016

http://www.lejdd.fr/International/Maghreb/Comment-le-Maroc-lutte-contre-l-Etat-islamique-812191

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1 Commentaire

  1. En prison, ils risquent de rencontrer des recruteurs.
    Résultat : ils sortiront plus radicalisés qu’ils ne sont entrés. »
    Toujours la même litanie et le même mensonge.
    Vous connaissez les prisons Marocaine ?
    C’est pas Nancy, je vous l’assure.
    C’est pas la colo !!, comme en France.
    Un séjour là-bas vous vaccine pour de bon.
    Quant a rencontrer des recruteurs, il y a moyen de les isoler ceux là.
    Et l’avocat il se croit ou ce con, a Paris avec sa plaidoirie
    droitdel’hommiste ?

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